Testaments invalides : jusqu’où peut-on aller ?

Par Rudy Mezzetta | 20 mars 2024 | Dernière mise à jour le 19 mars 2024
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Concept d’accord avec stylo plume et documents.
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La décision de l’Ontario d’autoriser les tribunaux à valider un testament mal exécuté crée une incertitude quant à la mesure dans laquelle un juge peut accepter des documents non conformes.

Au cours des deux années qui se sont écoulées depuis que l’Ontario a ajouté la disposition relative à la validation des testaments à son droit successoral, les tribunaux ont validé un testament que le défunt n’avait pas signé, un testament qu’aucun témoin n’avait signé et un testament qui n’existait que sous la forme d’un fichier électronique non signé et sans témoin — même si la législation ne semble pas s’appliquer aux testaments électroniques.

« C’est un peu le Far West en ce moment », concède Demetre Vasilounis, avocat spécialisé dans les successions chez Fasken Martineau DuMoulin à Toronto.

On ne sait pas non plus dans quelle mesure les avocats et les exécuteurs testamentaires seraient obligés de divulguer l’existence d’un testament non conforme qui pourrait être validé par un tribunal, souligne Krystyne Rusek, avocate spécialisée dans les successions au sein du cabinet Speigel Nichols Fox à Mississauga, en Ontario.

Avant l’entrée en vigueur de la disposition, en 2022, les exécuteurs testamentaires n’étaient pas tenus de divulguer l’existence d’un testament mal exécuté. Désormais, « au lieu de chercher un document [parmi les effets personnels du défunt] portant la mention “Dernières volontés et testament”, un [exécuteur testamentaire] devra peut-être lire quelques gribouillis sur une serviette de table pour voir s’il s’agit d’un éventuel testament », commente Krystyne Rusek.

En 2021, le gouvernement de l’Ontario a ajouté une disposition relative à la validation des testaments à la Loi portant réforme du droit des successions (LRDS), dans le cadre d’un ensemble plus large de réformes du droit des successions. L’article 21.1 est entré en vigueur pour les décès survenus à partir du 1er janvier 2022 et donne aux tribunaux le pouvoir de valider un document qui a été mal exécuté si le document « énonce les intentions testamentaires d’un défunt, ou l’intention d’un défunt de révoquer, de modifier ou de faire revivre un testament ».

Avant 2022, un testament en Ontario qui n’avait pas été signé par le testateur en présence de deux témoins — ces témoins signant également en présence du testateur — ne pouvait généralement pas être sauvé, rappelle Demetre Vasilounis. L’article 21.1 vise à traiter les cas dans lesquels les intentions d’un testateur pourraient être contrecarrées uniquement en raison d’un vice de forme.

Les tribunaux ont utilisé la nouvelle disposition dans la décision de juin 2023 Cruz v. Public Guardian and Trustee, dans laquelle le testateur a signé un testament dactylographié, mais a omis de le faire authentifier, et dans la décision d’octobre 2023 Kertesz v. Kertesz, dans laquelle le testateur a laissé un testament manuscrit et non signé.

Toutefois, le tribunal a validé un testament qui n’existait que sous forme d’ébauche électronique dans la décision Grattan v. Grattan de février 2023. Le paragraphe 21.1 (2) de la LRDS — qui porte l’en-tête « Pas de testament électronique » — semble exempter les documents électroniques de la disposition relative à la validation. Le tribunal a « probablement mal appliqué » cette disposition, avance Krystyne Rusek.

Demetre Vasilounis estime que l’introduction de la section 21.1, combinée à une plus grande acceptation générale des testaments électroniques, pourrait éventuellement conduire la province à autoriser de tels testaments. La Colombie-Britannique est la seule province qui les autorise.

Une autre décision notable a été rendue dans l’affaire White v. White, dans laquelle un enfant du défunt a demandé au tribunal d’obliger l’avocat du défunt à produire tous les dossiers du défunt qui pourraient être « testamentaires » afin de voir si un document pourrait être validé en vertu de la nouvelle disposition. En vertu d’un testament valide existant dans ce cas, le demandeur ne devait recevoir que 10 % de la succession. Le tribunal n’a rendu l’ordonnance qu’à contrecœur, après que le demandeur a apporté la preuve que le défunt était peut-être en train de préparer un nouveau testament.

Selon Krystyne Rusek, la jurisprudence relative à l’article 21.1 indique qu’un tribunal validera un testament qui ne respecte pas les formalités si le tribunal estime que le document est authentique et qu’il reflète les intentions finales du testateur. Toutefois, la législation attend une décision faisant jurisprudence, car aucun demandeur ne s’y est opposé dans les affaires traitées jusqu’à présent.

« Nous n’avons pas eu de cas où quelqu’un a contesté qu’il s’agissait de l’écriture du défunt, affirme Krystyne Rusek. Nous n’avons pas eu de cas où il y avait des preuves contradictoires quant aux intentions fixes et finales du défunt. »

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Rudy Mezzetta