Un économiste en campagne

Par Jean-François Parent | 4 avril 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Carlos Leitao

Carlos Leitao est une recrue de poids – et de choix – pour le Parti libéral du Québec, qui annonçait sa candidature début mars. Sacré « deuxième meilleur prévisionniste au monde » en 2008 par l’agence financière Bloomberg, l’ex-stratège et économiste en chef de la Banque Laurentienne a discuté avec Conseiller.ca de soutien à l’économie québécoise, de réglementation des marchés et des institutions financières, de régulateur national et de la concentration des services financiers.

Le saut en politique

Le Portugais d’origine, arrivé au Québec en 1975, dit avoir quitté son lucratif poste à la « plus petite des grandes banques » du pays pour mettre en œuvre les conseils qu’il prodigue aux ministres des Finances canadiens et québécois depuis des années.

Selon lui, il y a urgence d’agir sur le plan économique : « La direction que prenait l’économie québécoise dans les 18 derniers mois n’était pas du tout à mon goût. » Les décisions prises par la première ministre Marois depuis son arrivée, comme celle sur les taxes rétroactives, ou encore la mort du Plan Nord, ont incité Carlos Leitao à se demander s’il ne devait pas sauter dans l’arène.

Sans compter que depuis des années « j’étais de l’autre côté de la barrière, en disant aux ministres des Finances quoi faire » sur le plan économique. Aller lui-même au front lui semblait donc une bonne idée.

L’industrie financière québécoise « fonctionne très bien »

La finance québécoise fait partie intégrante du système canadien, de telle sorte que deux régimes se chevauchent. Plutôt que d’y voir une lourdeur, Carlos Leitao estime que l’union monétaire et bancaire avec le Canada est un « système qui nous a bien traités ».

Il donne l’exemple de la crise financière de 2008, que le Canada et le Québec ont pu éviter grâce notamment au cadre réglementaire mis en place par l’Office du surintendant des institutions financières et les pratiques bancaires relatives à la titrisation en vigueur au Canada. Les banques canadiennes ne font pas de subprime, et n’ont pas titrisé de produits financiers qui se sont avérés toxiques.

C’est dans ce contexte qu’il insiste sur la spécificité québécoise en matière réglementaire. « Nous avons la particularité au Québec d’avoir nos propres organismes réglementaires, comme l’AMF qui fait un très bon travail. Il y a toujours place à l’amélioration », mais l’ensemble fonctionne très bien, juge-t-il.

Réglementation : il faut « respecter les compétences provinciales »

Carlos Leitao souligne par ailleurs l’importance du régime d’encadrement des valeurs mobilières, qui fait en sorte que les émetteurs et autres acteurs du système financier n’ont qu’à s’inscrire auprès de leur régulateur d’origine pour pouvoir faire des affaires ailleurs au pays.

« La position traditionnelle du Québec reste le passeport », poursuit-il. Il défendra donc la position québécoise, qui est de s’opposer au projet fédéral de réglementation des valeurs mobilières.

Selon lui, l’architecture fonctionne. Elle est perfectible, comme toute chose, mais il insiste sur le respect des compétences provinciales en la matière.

Difficile d’aborder ce sujet sans faire un détour par le carcan réglementaire, que d’aucuns jugent trop lourd et nuisible au développement des affaires.

« On peut bien sûr trouver qu’il y a beaucoup de réglementation, mais le fait est qu’on n’en a jamais trop. Bien sûr, quand j’étais de l’autre côté, je trouvais que c’était lourd et bureaucratique. Mais des règles claires et efficaces sont nécessaires pour que les gens aient confiance dans cette industrie. »

Et de rappeler que la confiance est essentielle à l’industrie financière. « C’est encore plus pertinent depuis 2008. Il faut absolument maintenir la vigilance. »

Tendre la main aux PME

Il reste que le Québec est la moins productive de toutes les provinces où le commerce des valeurs mobilières est important, relevait l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) il y a deux ans.

En comparant les provinces entre elles, selon la valeur ajoutée créée par emploi dans le secteur financier, l’ISQ a ainsi déterminé que la productivité du travail est, au Québec, moindre qu’en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario. Les grandes transactions boursières et une majorité de sièges sociaux de la haute finance sont ailleurs qu’à Montréal et à Québec, ce qui explique cette situation. Le Québec n’est pas moins productif, il génère surtout moins de valeur ajoutée par transaction financière.

Une partie de la solution préconisée par Carlos Leitao serait de donner un sérieux coup de main aux PME, afin qu’elles grandissent et participent aux marchés boursiers, puisque les grands syndicats de courtiers bancaires sont plus ou moins intéressés par les petites émissions issues des PME.

« Il faut augmenter la demande pour les premiers appels publics à l’épargne », estime-t-il. Cela aurait un impact sur le secteur particulièrement lucratif du courtage et de la prise ferme. Plus d’émissions boursières en provenance des PME, plus de valeur ajoutée pour le courtage. Avec pour résultat une augmentation de la valeur ajoutée générée par le secteur financier.

Pas question de cibler des entreprises ou des secteurs en particulier, cependant. « C’est beaucoup plus efficace de promouvoir un climat d’affaires sain et de confiance. Ce n’est pas à l’État de décider qui sera le prochain champion de la croissance », dit-il.

L’indépendance des conseillers « de plus en plus rare »

À la suite d’une importante concentration de l’industrie au cours de la dernière décennie, il ne subsiste plus qu’une trentaine de cabinets de services financiers indépendants des grandes institutions. Cela laisse moins de choix au consommateur.

Carlos Leitao hésite à faire intervenir l’État.

« C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de concentration, mais il y a quand même de belles histoires comme Fiera Capital, ou Addenda. Il faut cependant reconnaître que le conseiller indépendant est de plus en plus rare. »

Le rôle du gouvernement, à ses yeux, est surtout de voir à ce que les consommateurs soient bien au fait des choix qui s’offrent à eux. Avec notamment des initiatives visant à mieux outiller les épargnants et les investisseurs, par l’entremise de la littératie financière.

« Il faut s’assurer entre autres que les consommateurs de services financiers puissent reconnaître les situations pas trop “catholiques” », conclut-il.

Jean-François Parent