Un ex-conseiller accuse l’AMF de discrimination

Par Pierre-Luc Trudel | 27 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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S’estimant victime de discrimination et de harcèlement de la part de l’Autorité des marchés financiers, un ex-conseiller de Sherbrooke dont la firme a récemment perdu son inscription s’est tourné vers la Commission des droits de la personne pour se faire entendre.

Jean-Christian Beaudoin estime que l’AMF a refusé à plusieurs reprises sa candidature à titre de chef de la conformité du courtier Beaudoin, Rigolt & associés pour des motifs discriminatoires, soit son âge et ses liens familiaux. Un nouveau chapitre s’écrit donc dans l’histoire passablement tumultueuse de ce cabinet.

La firme, qui a perdu son inscription en mars dernier en raison d’importants manquements en matière de conformité, a connu de nombreux déboires disciplinaires au cours des dernières années. Marc Beaudoin, le père de Jean-Christian Beaudoin, a notamment été reconnu coupable de 10 chefs d’accusation en 2011, notamment pour s’être placé en conflit d’intérêts et avoir omis de prioriser l’intérêt de son client. Marc Beaudoin était alors dirigeant responsable et chef de la conformité de Beaudoin, Rigolt & associés.

En 2014, l’AMF a également appris que son frère, Philippe Beaudoin, était accusé de possession de biens criminellement obtenus et de fraude, et qu’il avait omis de l’inscrire à la Base de données nationale d’inscription (BDNI), ce qui est obligatoire.

Selon Jean-Christian Beaudoin, le passé des membres de sa famille a donc influencé la décision de l’AMF de refuser son inscription comme chef de la conformité en avril 2015.

« Nous avons fait plusieurs tentatives d’inscription, mais l’AMF a toujours refusé. Elle jugeait que je n’avais pas l’expérience suffisante dans les circonstances. Pourtant, j’avais 16 mois d’expérience dans le secteur des valeurs mobilières, alors que le règlement impose 12 mois », a-t-il expliqué à Conseiller.

Le jeune homme, âgé de 21 ans à l’époque, a donc déposé une première plainte en avril 2015 auprès de la Commission des droits de la personne. Dans celle-ci, il écrit que « l’AMF, sans justification ni motifs valables, tente de [lui] attribuer une culture de conformité défaillante au nom des membres de [sa] famille, ce qui est non fondé et discriminatoire ».

IL AFFIRME SUBIR DES REPRÉSAILLES

Toutefois, devant les difficultés que connaît Beaudoin, Rigolt & associés à pourvoir son poste de chef de la conformité, l’AMF accepte finalement la nomination de Jean-Christian Beaudoin en juillet 2016, mais de façon temporaire seulement.

Le régulateur lui fait signer une lettre où il s’engage à ne plus occuper le poste de chef de la conformité après le 15 décembre 2016, date à laquelle un chef de la conformité permanent devait avoir été désigné.

L’ex-conseiller estime avoir signé cette lettre d’engagement « sous la contrainte ».

« Si je ne signais pas, l’AMF fermait le courtier, [faute de chef de la conformité], et si je signais, je renonçais à être chef de la conformité [de façon permanente]. Aucun de mes prédécesseurs n’avait eu à signer de tels engagements », dit-il.

« Dès qu’ils m’ont accepté en tant que chef de la conformité, c’est comme s’ils faisaient tout pour essayer de prouver que je faisais mal mon travail. En novembre 2016, l’AMF m’a envoyé une lettre dans laquelle elle expliquait que je ne respectais pas entièrement mes engagements », affirme Jean-Christian Beaudoin, qui a finalement démissionné de son poste le 14 décembre.

Selon lui, les poursuites intentées par l’AMF contre Beaudoin, Rigolt & associés en 2016, qui ont finalement amené la firme à perdre son inscription, sont des représailles en raison de la plainte qu’il a effectuée auprès de la Commission des droits de la personne en 2015.

Jean-Christian Beaudoin dépose donc une deuxième plainte à la Commission des droits de la personne en 2016, cette fois pour harcèlement et représailles. Les deux plaintes en sont toujours à l’étape de l’enquête, indique-t-il. La Commission a confirmé l’existence des plaintes, mais a refusé de commenter davantage pour des raisons de confidentialité.

L’ex-conseiller désire obtenir une lettre d’excuses signée par le PDG de l’AMF et une compensation financière, sans préciser à quelle hauteur.

AUCUNE DISCRIMINATION, SELON L’AMF

Dans une correspondance adressée à la Commission des droits de la personne à la suite du dépôt de la première plainte, la secrétaire générale de l’AMF, Anne-Marie Beaudoin, « nie que la décision de rejeter la candidature de Jean-Christian Beaudoin à titre de chef de la conformité ait été discriminatoire ».

Mme Beaudoin évoque entre autres « les manquement récurrents » du courtier Beaudoin, Rigolt & associés et le fait que le plaignant n’était inscrit à titre de représentant en épargne que depuis 16 mois. « L’Autorité est d’avis qu’une personne raisonnable arriverait à la conclusion que vous [Jean-Christian Beaudoin] ne possédez pas l’expérience pertinente nécessaire pour exercer la fonction de chef de la conformité dans un tel contexte. »

Contactée par Conseiller, l’AMF a refusé de commenter davantage le dossier, mais a fourni certaines précisions concernant les critères d’inscription à titre de chef de la conformité d’une firme en valeurs mobilières.

Pour occuper ce poste, un candidat doit détenir au moins 12 mois d’expérience pertinente acquise dans le secteur des valeurs mobilières (dans les 36 mois précédant sa demande d’inscription). Même si Jean-Christian Beaudoin travaillait dans l’industrie depuis 16 mois à l’époque, ce n’était pas suffisant, suivant les critères de l’AMF.

« Le simple fait d’avoir été inscrit auprès d’un courtier en épargne collective pour une période de 12 mois ne peut nullement garantir de la pertinence de cette expérience et donc du respect automatique des critères d’inscription pour un chef de la conformité », explique Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF.

L’expérience est jugée pertinente lorsque l’analyse effectuée par l’Autorité démontre que le candidat est en mesure de bien comprendre les obligations réglementaires applicables à la société et aux personnes physiques agissant pour son compte, précise-t-il.

L’organisme de réglementation ajoute faire « très rarement » l’objet de plaintes de la part de représentants.

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Pierre-Luc Trudel