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Par Yves Bonneau | 29 septembre 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

À mesure que les annonces de récession technique se succèdent, on se demande comment assurer le rendement nécessaire aux millions d’épargnants qui s’attendent à prendre leur retraite un jour. Faudra-t-il mettre en place un système financier parallèle basé uniquement sur le long terme pour permettre aux générations qui nous suivent de pouvoir épargner ?

Jamais dans toute l’histoire de l’humanité n’a-t-on été confrontés à une situation où la création de capital a été si peu corrélée à la productivité. Le capital produit il y a 50 ans a peu à voir avec le capital produit aujourd’hui, a fortiori dans le système financier actuel. À la base du capitalisme, le producteur a besoin de produits pour produire, et le résultat de sa production nécessite un travail. Dans la logique capitaliste, produire des biens (ou des services) est le fondement de l’activité économique. Si, pour produire un bien, le producteur capitaliste emploie un individu une journée puis revend la marchandise à une valeur équivalant à deux journées de travail, les biens vendus équivalent davantage que le travail humain nécessaire pour les produire. Comme sa valeur d’échange est supérieure, le producteur capitaliste réalise alors une plus-value. Ainsi, des biens tangibles ont été produits à partir de matières premières et l’on peut concrètement établir une valeur aux biens et au travail.

Ce n’est pas le cas dans les systèmes financiers actuels. Les marges de profit, les frais de gestion et de commissions prélevés sur chaque transaction, les salaires des intermédiaires, cambistes, contrepartistes et autres courtiers atteignent des sommets de démesure. Ajoutez à cela les modélisations et les programmes informatisés qui permettent des transactions en millisecondes pour tirer profit des moindres failles du système, et nous voilà aux prises avec une situation potentiellement dangereuse.

Même si, après la crise des subprimes, on avait promis une plus grande sagesse, on semble être retombés dans les mêmes travers… Cette même crise qui a fait sortir du marais les pires escrocs – dont Bernard Madoff, qui a orchestré une fraude tentaculaire de 65 milliards. Dans Chasing Madoff, le documentaire qui a pris l’affiche au cinéma récemment, l’analyste financier Harry Markopolos, CFA et CFE, a tenté en vain d’avertir les autorités réglementaires (la SEC) pendant près de 10 ans. Voici en substance ce qu’il dit de Wall Street : « C’est une jungle de prédateurs intéressés par l’appât du gain où personne n’est imputable (…). Dans toute cette affaire, les investisseurs institutionnels n’ont jamais eu à l’esprit les investisseurs particuliers. »

Encore aujourd’hui, la majorité croit que cette fraude invraisemblable est l’affaire d’un seul homme. Or, il n’en est rien. Il s’agissait d’une fraude planétaire dont les ramifications touchaient les plus prestigieuses institutions financières d’Asie, d’Amérique et surtout d’Europe. Si l’oxygène de l’industrie financière est la confiance, autant dire que des millions de personnes ont été asphyxiées et que d’autres le seront encore si rien ne change. Mais les marchés et le système financier ne sont pas seulement minés de l’intérieur, des nuages encore plus sombres menacent de l’extérieur.

La dette publique des états souverains occidentaux, surtout la dette américaine, mais également celle de nombreux pays européens, atteint des niveaux vertigineux. Au point où nos systèmes financiers sont menacés d’imploser selon plusieurs analystes. Dans un essai dévastateur, Tous ruinés dans 10 ans, l’écrivain et économiste Jacques Attali brosse un tableau apocalyptique de ce qui attend le monde occidental si rien n’est fait. Et, si l’on se fie à ses dires, il serait déjà trop tard.

Selon Attali, le rôle actuel du système financier mondial est d’assurer un transfert de l’épargne des pays moins nantis du Sud,vers la consommation effrénée des pays « riches » du Nord, en prélevant au passage des commissions faramineuses.

Il s’agit , note-t-il, d’une situation invraisemblable où les plus pauvres salariés du monde (des pays du BRIC) financent désormais le train de vie des riches fonctionnaires, militaires et chercheurs américains gagnant 100 fois leurs revenus, où les vieux vivent du travail des jeunes, où les souverains des pays pauvres ne tiennent pas à voir leurs populations s’enrichir trop vite, où personne ne tient vraiment à connaître la réalité des dettes des souverains, où la théorie est totalement défaillante, où tout dépend de ce qui se cache dans les comptes de banque (des banques centrales), et où la dette publique n’est supportable qu’en raison de l’effondrement ponctuel des taux d’intérêt. L’Asie dégage une épargne qu’il prête à l’Occident, qui s’en sert pour maintenir son train de vie (excessif) et non pour préparer son avenir, en renvoyant aux générations suivantes l’odieux du problème.

De tout temps, les pays ont eu des dettes. Au sortir de la Seconde Guerre en 1945, la dette publique anglaise dépassait les 250 % du PIB. Elle n’est qu’à 55 % aujourd’hui. Mais les risques de défauts de paiement ne sont pas écartés pour autant. Pour l’heure, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et même la France connaîtront des jours très difficiles. Les dettes souveraines sont finançables avec la croissance et l’inflation. L’inflation réduit la valeur des dettes, augmente les recettes fiscales et élimine une dette excessive tout en permettant aux plus jeunes générations d’emprunter pour investir, mais on ne voit guère de cette lumière pour le moment.

« Pour parvenir à une croissance durable de la valeur des actifs, le système financier mondial devra financer des investissements publics porteurs d’une telle hausse durable, c’est-à-dire des investissements non directement rentables pour le secteur privé, mais contribuant à l’augmentation du patrimoine individuel et collectif », conclut Attali. Il y a là profonde matière à réflexion.

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller


Cet article est tiré de l’édition d’octobre du magazine Conseiller.

Yves Bonneau