« Les caisses de retraite doivent en faire plus! »

Par Sylvie Lemieux | 23 novembre 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : pogonici / 123RF

Ces dernières années, plusieurs caisses de retraite au Canada ont élaboré des plans de carboneutralité. Il est toutefois difficile de suivre leurs réelles avancées en matière d’investissement durable. Un nouvel outil vient corriger la situation.

Le Tableau de bord des investissements responsables des régimes de retraite canadiens fait suite à un rapport publié par l’Institut pour l’IntelliProspérité de l’Université d’Ottawa et The Natural Step Canada en partenariat avec Corporate Knights et la Fondation familiale Trottier. Un comité consultatif d’experts indépendants canadiens a aussi collaboré au projet. Rosalie Vendette, experte en finance durable chez DecodeESG, en faisait partie.

« Le tableau de bord permet de savoir où les caisses de retraite se situent par rapport aux objectifs ESG [environnement, société et gouvernance]. Ce n’est pas un classement, plutôt un outil basé sur des indicateurs de résultats », explique Mme Vendette.

Malgré les avancées, il reste encore beaucoup à faire pour les grands investisseurs dans la course vers un avenir plus vert.

« Globalement, je pensais qu’on était rendu un peu plus loin en termes de proportion d’actifs durables, souligne-t-elle. Il y a des caisses où ils représentent à peine 1 %. Peut-être ont-elles joué de pureté pour n’inclure que les investissements orientés très verts. Elles peuvent avoir sous-estimé leurs actions. »

En effet, selon le tableau, le pourcentage des actifs dans des solutions durables varie entre 1 % et 14 % parmi les 12 grandes caisses de retraite canadiennes. Peu d’entre elles se sont fixé un objectif de carboneutralité pour leur portefeuille.

C’est le cas de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui veut accroître ses actifs écologiques pour les porter de 36 à 54 milliards de dollars (G$) d’ici 2025. De plus, d’ici 2030, elle veut réduire de 60 % les émissions de carbone de ses investissements. Enfin, d’ici la fin de 2022, elle veut quitter le secteur de la production de pétrole (qui représente actuellement 1 % de son portefeuille).

De son côté, le Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l’Ontario (RREO) a fixé une cible de réduction de l’intensité des émissions de carbone de son portefeuille à 45 % d’ici 2025 et à 67 % d’ici 2030 (par rapport aux émissions de 2019).

« Les caisses de retraite sont des agrégateurs de capitaux d’une taille incroyable. Si on veut arriver à relever le défi des changements climatiques, ce serait souhaitable que leurs investissements soient mobilisés », affirme Rosalie Vendette.

MONTRER LA VOIE

Le secteur des régimes de retraite canadien représente des actifs s’élevant à 4 000 G$. À l’échelle mondiale, les grands investisseurs se lancent dans la plus grande réallocation de capital de l’histoire, rappellent les auteurs du rapport. Il s’agirait d’une somme supérieure à 100 billions de dollars américains d’ici 2050, estime Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre et actuel directeur de l’investissement responsable chez Brookfield Asset Management.

« Les grandes caisses de retraite définissent les nouvelles tendances. Elles mettent en place de nouvelles pratiques qui sont reprises par l’ensemble du secteur, soutient Mme Vendette. Il existe des centaines de caisses de retraite au Québec si on pense à celles qui sont rattachées à des entreprises privées. Elles ont toutes un rôle à jouer pour un avenir plus vert et plus inclusif. »

« Il faut aussi penser à la protection du capital, ajoute-t-elle. Dans un monde en changement, il faut se demander comment sa caisse de retraite minimise les risques liés aux changements climatiques. »

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Le tableau de bord constitue un bon premier pas pour rendre compte des progrès. « Il démontre également le besoin d’utiliser des référentiels communs pour permettre aux investisseurs de se comparer et mesurer l’efficacité de leurs actions », explique Mme Vendette.

« Il y a plusieurs façons d’intervenir sur le plan du climat, ajoute-t-elle. Par exemple, si on prend le désinvestissement dans les énergies fossiles, on peut se demander ce que ce mouvement apporte réellement. Il vient réduire le carbone des portefeuilles, mais encore. Quelles sont les répercussions dans le monde réel? Éviter un problème, ce n’est pas nécessairement le régler. »

Rosalie Vendette souhaite que ce rapport stimule aussi la participation des cotisants aux caisses de retraite. « On ne sait pas trop ce qu’ils pensent des orientations et des pratiques de leur régime de retraite, dit-elle. Sont-elles en phase avec leurs attentes ? Ils doivent être plus nombreux à s’intéresser aux multiples retombées de leurs investissements. »

Les participants peuvent en même temps s’interroger sur l’impact de leurs propres investissements. En ce sens, les conseillers ont leur rôle à jouer pour aider leurs clients à évaluer leur portefeuille en fonction d’objectifs durables.

« Le tableau de bord fournit une liste de questions qui étaient destinées aux caisses de retraite pour mesurer l’impact durable de leurs investissements. Certaines peuvent très bien être reprises par les particuliers pour savoir si leur portefeuille est réellement vert », suggère Rosalie Vendette.

Après tout, la finance durable, c’est l’affaire de tous.

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Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.