La place des obligations réhabilitée

Par Gérard Bérubé | 28 septembre 2022 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
9 minutes de lecture
racorn / 123RF

Le faible rendement des obligations a alimenté une réflexion sur leur présence dans le modèle de référence 60-40 que vient repositionner le niveau actuel des taux d’intérêt. Il a aussi démontré la pertinence d’une diversification du 40, qui demeure plus que jamais d’actualité.

En période de faibles taux d’intérêt, les gestionnaires et conseillers étaient nombreux à rechercher l’ajout d’actifs à rendement supérieur et les stratégies invitant à investir dans des titres à revenu fixe autres que des obligations d’État et de sociétés de première qualité. La remontée des taux d’intérêt n’atténue toutefois pas le bien-fondé de cette remise en question.

Daniel Ouellet le résume bien. Pour le gestionnaire de portefeuille, du Groupe Ouellet Bolduc au sein de Desjardins Gestion du patrimoine, la réflexion autour du modèle 60-40 (60% d’actions, 40 % d’obligations) et de la place des obligations dans le portefeuille reste pertinente, davantage dans le contexte actuel d’une remontée des taux d’intérêt. Certes, le modèle 60-40 a été plutôt malmené cette année, mais la relation risque-rendement est redevenue intéressante, soutient-il.

La chute du cours des obligations émises et la hausse du rendement offert découlant de la remontée des taux d’intérêt permettent de combiner rendement plus élevé et gain en capital à l’échéance. « On fait ainsi du rendement et de la fiscalité, avec un gain en capital moins imposé », donne-t-il en exemple.

Il rappelle que le rôle de l’obligation est d’amortir les risques et le choc d’une récession, et de réduire la volatilité du portefeuille. « Il y a eu transfert de risque des obligations vers les actions sous le coup de la faiblesse des taux d’intérêt. L’équilibre devrait se rétablir avec un volet obligataire redevenant intéressant et appelé à jouer son rôle dans la prochaine récession. »

« Il y a eu transfert de risque des obligations vers les actions sous le coup de la faiblesse des taux d’intérêt. L’équilibre devrait se rétablir avec un volet obligataire redevenant intéressant et appelé à jouer son rôle dans la prochaine récession. »

Cette remise en question s’est faite plus bruyante avec la faiblesse des taux d’intérêt et la difficulté d’obtenir du rendement positif. Mais depuis le creux d’août 2020, le rendement est devenu plus intéressant aujourd’hui, note Frédérick Demers. Le directeur général, Solutions d’investissement multiactif à BMO Gestion mondiale d’actifs insiste sur le fait que l’obligation offre un coussin à la volatilité et une corrélation généralement négative avec le marché des actions. Certes, cette corrélation a été positive cette année, « mais il serait étonnant qu’on en reste là ».

Dans le cas des régimes de retraite à prestations déterminées (RPD), les prestations forment un passif présentant des similitudes avec un portefeuille obligataire. « Même si l’investissement est à long terme, on doit considérer le meilleur investissement pour apparier le passif et réduire la volatilité. Les obligations jouent ce rôle d’appariement. Et si la baisse des taux a fait mal à nombre de RPD, beaucoup d’entre eux n’étaient pas protégés. Or, on peut couvrir le risque de taux d’intérêt, on peut apparier le passif par des stratégies à levier », souligne Yvan Breton, membre du partenariat et chef, Services délégués pour le Canada chez Mercer.

« Même si l’investissement est à long terme, on doit considérer le meilleur investissement pour apparier le passif et réduire la volatilité. Les obligations jouent ce rôle d’appariement. . »

Yvan Breton

À l’extérieur des RPD, notamment dans les régimes à cotisations déterminées, dans les fonds de dotation et dans les fondations, on a effectivement vu des allocations d’actifs délaisser les obligations tout en conservant leur exposition aux titres à revenu fixe via certaines actions privilégiées, les placements non traditionnels, le crédit privé, les fonds de couverture, les sociétés d’investissement dans les hypothèques, les billets structurés, les marchés étrangers ou encore l’investissement à haut rendement.

« Pour ceux ayant un objectif de rendement absolu, la place des obligations peut effectivement être contestée. Mais il demeurera toujours important de diversifier ses sources de rendement et de risque », signale le spécialiste de Mercer.

Les obligations ont un rôle très important et sont là pour rester. « La pertinence des obligations demeurera indéniable, martèle-t-il. La modification de l’allocation est une décision tactique à court terme. Jouer sur la durée est également une décision tactique, de valeur ajoutée, mais pas une décision stratégique à long terme. En voulant générer de l’alpha, le danger est que le scénario ne se matérialise pas. »

Yvan Breton ajoute qu’« avec l’inflation, avec les risques géopolitiques et le potentiel d’une récession qui, si elle se concrétisait, entraînerait à la fois une baisse des taux d’intérêt de long terme et une baisse des marchés », il serait « présentement inquiet de voir les caisses de retraite réduire la place des obligations ».

UN MODÈLE REVISITÉ

La remontée des taux observée cette année vient-elle réhabiliter le modèle 60-40 et la place des obligations dans le 40 ?

« Oui », répond Yvan Breton sans hésitation.

« C’est plus sain aujourd’hui. Certes, on est loin sous l’inflation, mais cette perte de pouvoir d’achat est appelée à s’estomper », ajoute Frédérick Demers.

Michael White, gestionnaire de portefeuille, Stratégies multi-actifs à Picton Mahoney Asset, acquiesce. Historiquement, les obligations étaient présentées comme offrant une diversification au risque des actions et une protection contre celui de taux d’intérêt. Le modèle 60-40 s’est donc vite implanté.

Et non sans raison. Selon le livre blanc de Picton Mahoney, Fortifying your portfolio, The Picton Mahoney approach to building a resilient portfolio, portant sur les stratégies visant à fortifier le portefeuille et à accroître la qualité des rendements, sur 150 ans (de 1871 à 2019), le rendement total du marché américain des actions a offert 9,1 % annuellement, et celui des obligations du Trésor américain à long terme, 4,8 %. Tous deux ont fait beaucoup mieux que l’inflation.

Si l’on regarde la qualité du rendement sous l’angle des corrélations et de la volatilité, le modèle 60-40 a généré un meilleur rendement sur le long terme que les obligations, et une performance légèrement inférieure à celle d’un portefeuille uniquement d’actions, mais avec moins de volatilité.

En ajustant pour le risque (ou par unité de risque), le modèle 60-40 a donné un meilleur rendement qu’un portefeuille composé uniquement d’actions. Sur 150 ans, le rendement total du marché américain des actions a fourni 9,1 % annuellement. Il a été de 7,6% pour le modèle 60-40 et de 4,8 % pour les obligations à long terme du Trésor américain, contre 2,1 % pour l’inflation. Les actions ont cependant offert une volatilité de 14 %, contre 8,7 % pour le 60-40 et 4,1% pour les obligations.

DIVERSIFICATION DU 40

Ce qui n’enlève rien à l’importance de la diversification. « On a fait beaucoup de chemin en matière de diversification dans le revenu fixe. Il y a eu réduction de la sensibilité aux taux d’intérêt et rééquilibrage de la durée tout en conservant le même profil de risque », rappelle Frédérick Demers.

Pour Michael White, les événements récents ont démontré que les obligations ne sont pas véritablement l’outil de protection que l’on pensait. Aussi, « les obligations n’aiment pas l’inflation. Elles auront toujours leur place, mais il existe des éléments de diversification, et ce, tant en termes d’éléments d’actif que de stratégies ». Le livre blanc de Picton Mahoney ébauche d’ailleurs quatre niveaux de renforcement du modèle 60-40.

Dans la liste des éléments d’actif pouvant servir de substitution, Frédérick Demers évoque la dette des pays émergents, le crédit privé et les placements non traditionnels, mais il invite également à explorer d’autres avenues. « Si l’on pense à la diversification régionale, aux divergences des politiques monétaires entre les pays… on a connu une période de synchronisation des économies. Mais depuis 2018, puis avec la dynamique de la pandémie, il y a eu désynchronisation. Cela crée des possibilités internationales plus intéressantes. »

Une étude publiée en mai1, menée auprès des investisseurs institutionnels pour Placements AGF, a mis en exergue cette détermination à détenir des titres à revenu fixe afin de gérer la volatilité, et à des fins de diversification et de protection du capital. « La capacité de cette catégorie d’actifs à produire un revenu s’avère manifestement cruciale », peut-on y lire. Suit la liquidité. Il est ajouté que cette importance accordée à la production de revenu, mesurée comme ayant été une priorité croissante dans une conjoncture de faibles taux d’intérêt, devrait persister, même dans le contexte actuel de resserrement des politiques monétaires des banques centrales.

Ce qui n’empêche pas ces investisseurs institutionnels de ressentir un besoin de diversifier et de se tourner vers des sources de revenus moins traditionnelles offrant un potentiel de rendement supérieur. Ainsi, 52 % des répondants à l’étude d’AGF ont cité les stratégies de « base plus », qui investissent habituellement dans des obligations d’État et de sociétés de première qualité et dont les pondérations sont complétées par de petites ventilations de titres à rendement élevé, mondiaux et de créances des marchés émergents.

Le crédit privé constitue un autre investissement fort prisé par les institutions recherchant un rendement supérieur, quoique certains gestionnaires disent hésiter à s’engager dans cette classe d’actifs, qualifiant d’insuffisants les rendements rajustés selon le risque et évoquant des préoccupations en matière de liquidité. Les frais peuvent également constituer un facteur dissuasif. Dans un sens plus large, il est estimé que la pondération des titres à revenu fixe à rendement plus élevé doit être considérée, mais avec soin.

« Pour certains, la liquidité constitue le facteur le plus important quand il s’agit de déterminer la combinaison adéquate d’investissements privés et publics, alors que d’autres sont davantage préoccupés par la gestion du crédit, de la durée ou du risque géographique qui peut être associée à leur portefeuille », constate l’étude commandée par AGF.

Daniel Ouellet va plus loin. Il indique d’entrée de jeu qu’il n’est pas chaud à l’idée de recourir à l’international et d’ajouter un risque de taux de change au portefeuille de ses clients. Il ajoute qu’on peut regarder du côté sociétés, cependant, où il y a moins de corrélation négative. « Selon la qualité, il est possible d’obtenir, disons, 1,5 % de plus qu’une obligation gouvernementale, mais cela dépend d’où l’on se situe dans le cycle économique. Si on est près d’une récession, ce n’est pas avantageux. »

Toutefois, il aime bien consacrer une portion des revenus fixes aux actions privilégiées révisables aux cinq ans. « Ces titres sont peu sensibles aux taux d’intérêt, mais davantage aux écarts de crédit. On combine alors un taux de distribution de 4 à 5 % à un facteur fiscalité, le dividende étant moins imposable que le revenu d’intérêt », explique-t-il.

Globalement, en matière de diversification de la portion titres à revenu fixe, les facteurs de risque les plus souvent mentionnés sont l’exposition aux marchés mondiaux, les défaillances, les cycles des taux d’intérêt et la durée du portefeuille, conclut l’étude d’AGF.

Gérard Bérubé