N’allez pas trop vite avec les FNB thématiques !

Par Alizée Calza | 16 mars 2022 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
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Les fonds négociés en Bourse (FNB) thématiques ont comme objectif d’offrir la possibilité de s’exposer à un créneau précis de façon plus sécuritaire et à moindre coût. Cette particularité a nourri leur popularité lors du marché haussier de 2021. Nombre d’investisseurs et de gestionnaires se sont tournés vers ces produits pour tenter de dégager davantage de rendements. Mais avant de se lancer, il est important de procéder à une vérification diligente afin d’identifier des thèmes qui vont perdurer.

2021 a été une année marquée par de nombreux records pour les FNB thématiques. Ainsi, les FNB d’actions thématiques ont enregistré des flux gigantesques. Si l’on exclut les FNB ESG (environnement, social et gouvernance), leurs créations nettes ont doublé par rapport au record établi l’année d’avant, selon une compilation de Banque Nationale Marchés financiers. Grâce à cela, les actifs sous gestion thématiques sont passés de trois à quatre milliards de dollars.

Concernant les FNB ESG, ces derniers représentent 2,8 % de l’actif total des FNB canadiens. Leur nombre a doublé, passant d’une cinquantaine en 2020 à une centaine en 2021.

Difficile également de parler des FNB thématiques sans mentionner les petits nouveaux sur le marché : les FNB de cryptomonnaies. La société Purpose Investments a été le premier manufacturier à s’aventurer sur ce terrain en février. Les FNB de cryptomonnaies ont fait sensation et ont enregistré 6,2 G$ de créations nettes réparties entre 28 FNB provenant de six manufacturiers, selon un rapport publié en janvier par une équipe d’analystes de Valeurs mobilières TD.

COMMENT EXPLIQUER CETTE POPULARITÉ ?

« Les FNB thématiques sont très divers et polyvalents. Il y a toujours plus d’offres qui permettent d’exprimer une vision de plus en plus précise dans la répartition d’actifs du portefeuille. Grâce à ces produits, il est possible de surpondérer un thème particulier auquel on veut exposer le portefeuille », répond Laurent Boukobza, vice-président et stratège FNB à Placements Mackenzie.

Un gestionnaire pourrait notamment envisager d’ajouter ce type de produits dans son portefeuille pour s’exposer à des industries qui sont un peu plus naissantes. Ils permettent en effet d’aller chercher une exposition davantage diversifiée, et de mettre l’accent sur un secteur de l’économie qui est moins représenté dans les indices de marché plus traditionnels.

Mais surtout, ces produits permettent de se différencier d’autres gestionnaires de portefeuille. Ainsi, selon une recherche faite par Eric Balchunas, analyste de Bloomberg, qu’évoque Laurent Boukobza, les portefeuilles d’investissements se ressemblent de plus en plus. Le cœur du portefeuille, qui représente environ 80 % de celui-ci, est devenu assez standard. « Maintenant, la différenciation va s’établir plus sur le plan des investissements satellites. C’est là où les thèmes et thèses d’investissement vont prendre plus d’ampleur et où de plus en plus de gens vont aller chercher des stratégies nichées pour tenter de se différencier, ou pour essayer de saisir les possibilités d’un secteur de l’économie », rapporte l’expert de Placements Mackenzie. C’est ce que permettent justement les FNB thématiques, selon lui.

« Je pense que dans une construction de portefeuille saine à long terme, les FNB thématiques jouent plus le rôle de satellite que de core en termes de gestion de risque », spécifie Laurent Boukobza.

Les gestionnaires essaient ainsi d’identifier les thèmes qui selon eux vont le mieux performer et les FNB thématiques sont populaires notamment pour leur flexibilité et la liquidité qu’ils offrent. Ils permettent également aux investisseurs d’obtenir une exposition à des dizaines, voire des centaines de sociétés à la fois, très efficacement et à moindre coût.

« Une fois le thème d’investissement identifié, les FNB thématiques permettent de maximiser le potentiel de diversification à l’entièreté du secteur.

Ces produits offrent la possibilité d’aller chercher plus de compagnies dans un secteur identifié et de réduire un peu le risque propre à chacune des compagnies », précise Laurent Boukobza. Ils ont ainsi l’avantage de rendre possible la diversification par rapport au reste du portefeuille, mais en même temps, ils ont l’inconvénient d’être concentrés sur une exposition, donc potentiellement plus volatiles.

« Ce risque de concentration, c’est vraiment ce qui est important. C’est pourquoi il faut bien choisir le thème dans lequel investir. Un processus de vérification diligente sur le FNB en tant que tel est donc nécessaire », avertit Laurent Boukobza.

« Un processus de vérification diligente sur le FNB en tant que tel est nécessaire. »

Laurent Boukobza

UNE VÉRIFICATION DILIGENTE

Évidemment, il existe plusieurs façons d’investir dans les FNB thématiques. Un investisseur pourrait décider d’adopter une approche tactique ou stratégique, ou d’investir dans un FNB actif.

Dans le cas d’un FNB actif, l’investisseur choisit de faire confiance à un ou une gestionnaire de portefeuille qui possède une expertise du secteur visé, et qui saura identifier plus spécifiquement les compagnies qui devraient le plus bénéficier du développement de ce thème.

L’approche tactique, quant à elle, consiste à investir dans un FNB spécifique au bon moment, et d’en sortir au bon moment. Évidemment, les gestionnaires de portefeuille ne privilégient généralement pas cette approche, car il est impossible de savoir exactement à quel moment entrer ou sortir du marché.

Dans l’approche stratégique, lorsqu’un gestionnaire investit dans un FNB thématique, son objectif consiste à maximiser ses chances sur un thème qu’il juge durable et valable. Il espère que les actions du portefeuille en profiteront, puisqu’il estime que les prix des actions dans lesquelles il investit ne reflètent pas encore les attentes des investisseurs.

Toutefois, même s’il s’agit d’un thème qui est porteur, cela n’est pas forcément un gage de succès et le produit pourrait ne pas convenir ni perdurer. Lorsqu’un thème est populaire, cela suscite la création de nombreux produits de la part des manufacturiers. Prenons l’exemple des FNB de cryptomonnaies. Depuis le début de l’année, 28 produits ont été lancés. Est-ce raisonnable de penser qu’ils vont tous demeurer ? Peut-être pas…

« On sait actuellement que pour qu’un FNB subsiste au Canada, il doit récolter plus ou moins 100 millions de dollars d’actifs sous gestion (ASG). Donc, si on adopte tôt un produit et qu’il n’atteint pas ce niveau d’ASG, il risque d’être discontinué ou bien d’être intégré à un autre FNB », avertit Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille et conseillère en placement chez Raymond James.

« Si on adopte tôt un produit et qu’il n’atteint pas [un certain] niveau d’ASG, il risque d’être discontinué ou bien d’être intégré à un autre FNB. »

Mary Hagerman

« C’est sûr que ce ne sont pas tous les FNB qui vont durer ni tous les thèmes. Il est important de comprendre quelle exposition on va chercher, comment on y a accès, qui est l’émetteur en arrière et ses habitudes », complète Laurent Boukobza.

Il est également essentiel de comprendre la stratégie sous-jacente et de s’assurer que l’exposition offerte cadre bien avec l’objectif du portefeuille. Cela est vrai aussi avec les FNB indiciels, qui ne ciblent pourtant pas de secteurs particuliers.

« Les FNB indiciels offrent ce potentiel de diversification à travers l’entièreté du secteur, mais il est primordial de comprendre ce que représente l’indice que le FNB va répliquer, pour comprendre quelle exposition le FNB va offrir et à quoi s’attendre », dit l’expert de Placements Mackenzie.

L’ESG, UN THÈME POPULAIRE

Difficile de parler de FNB thématique sans mentionner les FNB ESG. L’intérêt pour les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) étant visible dans nombre de facettes de l’investissement, pas étonnant qu’ils soient également très populaires.

En décembre 2019, au Canada, 24 FNB étaient identifiés comme ESG, représentant 774 M$ d’ASG. Même pas deux ans plus tard, à la fin du troisième trimestre 2021, on comptait presque 80 FNB ESG pour 7 G$ d’ASG !

Toutefois, il serait délicat de traiter les FNB ESG comme les autres FNB thématiques. Il existe une très large variété de FNB ESG. Selon Mary Hagerman, les FNB les plus populaires de ce secteur sont ceux qui représentent le grand marché, mais avec des filtres ESG.

« C’est vu comme étant plus défensif parce qu’on utilise le grand marché, mais on applique un facteur qui évite certains risques pour l’investisseur. Avec des facteurs ESG dans un grand indice, on peut éliminer de 5 à 15 % du risque relié au marché », explique-t-elle.

Cependant, les FNB ESG englobent toutes sortes de produits. L’ESG peut être appliqué comme filtre dans une approche plus factorielle au sein d’un grand indice. Mais l’ESG peut s’avérer plus directement thématique et répondre à une approche qui ne ressemble à aucun produit reproduisant un indice de base.

« Certains FNB thématiques dans le secteur ESG n’ont pas nécessairement la pleine approche ESG. On peut penser à ceux qui représentent uniquement le G, avec un accent sur les femmes. Ou dont le centre d’intérêt est purement climatique. À ce moment-là, ces FNB ne représentent pas nécessairement pleinement tout un marché », détaille Mary Hagerman.

« Avec un FNB d’obligations mondiales durable, notre portefeuille sera très diversifié en matière d’émetteurs et d’un point de vue géographique. Si l’on compare cela à un fonds d’obligations mondiales non ESG, celui-ci a des caractéristiques de portefeuille quant à la duration, au taux de rendement et à la qualité de crédit qui sont tout aussi bonnes. Donc, il serait possible de se retrouver avec quelque chose qui pourrait être partie prenante du portefeuille, mais qui est ESG. À l’inverse, l’on peut avoir quelque chose de très niché, qui va se comporter très différemment du reste du cœur du portefeuille. Dans ce cas-là, la sélection se qualifiera davantage comme un élément satellite », précise Laurent Boukobza.

Comme pour les autres produits thématiques, la difficulté liée au thème ESG demeure sa popularité. Puisqu’ils sont très en demande, on observe une forte création de produits et, à nouveau, ce ne sont pas tous les produits qui vont persister ou qui sont bons, ou qui répondent adéquatement à nos besoins.

« Un autre risque est de voir des produits ESG être utilisés par des émetteurs qui n’ont peut-être pas un si grand engagement envers ce secteur. Leurs produits auront alors possiblement de la difficulté à perdurer », ajoute Mary Hagerman.

Cela nous ramène encore une fois au processus de sélection d’un FNB – il faut comprendre la stratégie d’investissement et s’assurer qu’elle est en ligne avec ce que le client veut exprimer. S’il s’agit d’un nouveau produit, il faut impérativement encore se renseigner sur l’émetteur, l’ASG, mais aussi sur le genre de filtres utilisé dans la construction du produit. Cela permet de prévenir le risque d’écoblanchiment, une pratique malheureuse qui soulève évidemment les critiques et qui s’avère un boulet pour l’ensemble du secteur de l’ESG, avertit l’experte.

« Ce qui est un peu complexe, c’est qu’il n’existe pas de consensus par rapport à la façon de gérer le programme, et chacun a un peu sa recette. ESG ne veut pas dire la même chose pour tout le monde », ajoute Yves Rebetez, partenaire à Credo Consulting.

En conclusion, le processus d’élaboration du portefeuille demeure l’élément le plus important. Tout se fait à ce niveau et lors de l’identification du thème. Le but consiste à créer un portefeuille qui va répondre aux attentes de rendements et à la tolérance au risque du client.

« On veut toujours acheter quand les perspectives de rendement sont intéressantes à court, moyen et long terme, et surtout à moyen et long terme, car on sait que sur le court terme, c’est très difficile de les évaluer », termine Mary Hagerman.

Les FNB de cryptomonnaies, populaires, mais mal aimés

Alors que nos voisins du Sud tergiversent encore quant au bien-fondé de lancer un FNB directement adossé aux monnaies virtuelles, le Canada a lancé en février son premier FNB de cryptomonnaies, par l’intermédiaire de Purpose Investments. « Aux États-Unis, ils ont récemment accepté des FNB basés sur des contrats à terme sur bitcoin. Ils acceptent ça, parce qu’ils sont basés sur des dérivatifs. Ce type de produit est assujetti à des règles différentes », précise Yves Rebetez, partenaire à Credo Consulting. « Au Canada, on semble, de façon générale, être un peu plus ouvert, note l’expert. Ce qui n’est pas nécessairement une bonne ou une mauvaise chose. » Les autorités réglementaires américaines ne sont ainsi pas complètement à l’aise avec les risques associés aux cryptomonnaies et elles sont loin d’être les seules à être frileuses à cet égard. Beaucoup de gestionnaires de portefeuille évitent ces produits en raison de leur historique, qui les a associés régulièrement à la fraude, la manipulation et au crime organisé. Les FNB de cryptomonnaies sont d’ailleurs sujets à une foule de risques, dont celui du vol de portefeuille de monnaie virtuelle, ou de la manipulation boursière. Et ce, même au Canada, où la popularité de ces produits a pourtant explosé. Toutefois, il est bon de noter qu’investir dans les FNB de cryptomonnaies est certainement plus sécuritaire que le cas de figure d’un investisseur individuel qui s’achète directement des cryptomonnaies. « Tout simplement parce que la compagnie qui manufacture le FNB est là pour s’assurer que tout fonctionne bien », souligne Yves Rebetez. « En tant qu’investisseur individuel, ça permet de participer au mouvement avec relativement peu d’argent et à travers des paramètres de risques structuraux qui sont plus ou moins éliminés par l’intermédiaire de compagnies telles que Purpose », ajoute-t-il. Il estime ainsi que les investisseurs qui craignent de manquer le bateau et croient que les cryptomonnaies sont un peu comme de l’or numérique pourraient choisir d’investir un petit pourcentage de leur actif dans ces produits, à condition de ne pas avoir peur de perdre leur argent. Donc, en corrélation avec leur tolérance au risque. « Dans le cas où vous n’avez pas peur de perdre de l’argent, en investissant entre 2 et 5 % dans des FNB de cryptomonnaies, en principe vous ne deviendrez pas pauvre du jour au lendemain. Perdre de 2 à 5 % de votre argent, ça peut arriver dans le marché boursier », illustre-t-il en ajoutant toutefois que lui-même n’est pas très enthousiaste face à ces produits, entre autres en raison de leur passé « criminel ». De plus, Yves Rebetez se questionne sur les cryptomonnaies comme le bitcoin. Il se demande si ces dernières auront encore une place aussi prépondérante dans l’avenir et si un jour, les autorités monétaires de plusieurs pays ne s’accorderont pas plutôt pour lancer une monnaie numérique sous l’égide des autorités monétaires internationales. Plusieurs pays ont déjà annoncé leur projet de monnaie numérique. L’avenir nous apportera certainement une réponse à cette question.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.