L’art d’acheter des blocs d’affaires

Par Alizée Calza | 4 juillet 2019 | Dernière mise à jour le 22 août 2023
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Photo : Leo Wolfert / 123RF

Dans cette série vidéo, des conseillers de différents horizons expliquent comment ils perçoivent le problème de relève que vit l’industrie et témoignent de leur propre expérience en la matière. Aujourd’hui : Daniel Guillemette, président de Diversico.

Conseiller : Comment expliquez-vous le manque de relève?

Daniel Guillemette : La relève sera de plus en plus difficile à trouver dans un modèle d’affaires où la rémunération provient des commissions, car c’est une situation compliquée. [Atteindre le] niveau de conformité [exigé par les régulateurs] coûte cher au conseiller et quand celui-ci est en début de carrière, les contrats qu’il conclut lui font toucher des commissions plus modestes que celles qu’il obtiendra peut-être dans 15 ou 20 ans. Pour cette raison, l’entrée en carrière est plus difficile que dans le passé.

La profession est aussi difficile à rendre sexy aujourd’hui, en partie à cause de la mauvaise presse dont elle a été victime et de l’alourdissement du fardeau réglementaire. L’avenir du conseiller indépendant qui commence aujourd’hui n’est plus aussi excitant que pour celui qui a débuté dans les années 1980.

C : Où trouvez-vous les blocs d’affaires dont vous faites l’acquisition?

DG : Croître par acquisition d’une manière structurée et organisée faisait déjà partie de notre plan d’affaires en 1993. Aujourd’hui, on nous propose de nombreux blocs d’affaires notamment parce qu’on a parlé de notre stratégie dans les médias et grâce à notre réputation. Si les gens ont de la difficulté à trouver des clientèles à acquérir, c’est parce qu’ils n’ont pas nécessairement accès à toute cette stratégie mise en place depuis longtemps chez nous.

Le dernier morceau non négligeable qui nous distingue, c’est la technologie. Les systèmes de gestion des opérations actuels ne permettent pas à un cabinet de se développer de manière importante parce qu’ils n’offrent pas la technologie appropriée pour y arriver. Nous, on a iGeny [NDLR : un logiciel de gestion des processus d’affaires].

Les conseillers qui n’utilisent pas iGeny doivent soit rencontrer leurs clients en personne pour leur faire signer des formulaires pour des transactions souvent toutes simples, soit utiliser l’envoi postal, ou prendre de grands risques de bris de confidentialité en utilisant l’envoi courriel, intégré dans leur CRM (système de gestion de relation client) ou non.

Les conseillers qui utilisent iGeny Pro ont accès au système de signature électronique iGeny Sign. De plus, le système permet aux clients de déposer des documents dans une voûte sécurisée (iGeny Vault) à l’intention de leur conseiller. Cette fonctionnalité élimine les risques de bris de confidentialité lors de la transmission de documents renfermant de l’information sensible. Finalement, iGeny Meet permet aux clients de multiplier les rencontres avec leur conseiller sans avoir à se déplacer à son bureau.

C : Qui est intéressé à vendre son cabinet aujourd’hui?

DG : Principalement des conseillers qui arrivent en fin de carrière et qui veulent un atterrissage en douceur. Ils vont rechercher un cabinet qui est organisé, qui a les moyens financiers de faire le chèque nécessaire à l’achat de leur bloc d’affaires, mais aussi, et surtout, qui leur donne le sentiment que leurs clients vont être pris en charge.

Il y a aussi des conseillers plus jeunes qui sont conscients du grand niveau de difficulté que représente la conformité. Les ressources humaines constituent également un défi pour un cabinet financier, car elles représentent un certain coût et les employés sont difficiles à trouver. Ces professionnels vont donc se tourner vers une firme comme la nôtre pour profiter de notre structure et pour poursuivre leur croissance.

Il y en a aussi qui viennent nous voir parce qu’ils veulent croître par acquisition, comme nous, mais ils ne savent pas où trouver des blocs d’affaires, ni comment les financer, les administrer, les intégrer. On a développé cette connaissance au fil du temps. Ils se tournent donc vers nous pour obtenir de l’accompagnement. Ces conseillers vont accepter de vendre une partie de leur cabinet pour avoir un partenaire qui va les aider à croître davantage.

C : Comment se passe habituellement le transfert de la clientèle?

DG : Lorsque le conseiller acheteur a été choisi par le vendeur, le transfert relationnel se déroule très bien. Nous demandons à ce que le transfert des 20 % de clients qui génèrent 80 % du revenu se fasse dans les 12 mois qui suivent. Ce transfert va permettre au conseiller acheteur d’entrer en relation avec les clients les plus importants du cabinet. Ça ne marche pas à tous les coups, il peut arriver que le vendeur doive rester dans les parages [pour rassurer les clients plus hésitants].

Lorsqu’il prépare bien ses clients en leur assurant qu’il sera présent encore un bout de temps et en les informant qu’ils seront pris en charge par le nouveau conseiller et l’équipe administrative de Diversico, ça se passe bien. L’expérience client est grandement améliorée grâce à la technologie que nous utilisons (qui facilite entre autres les communications et l’envoi de formulaires officiels grâce à une interface sécurisée) et on a l’habitude des transferts de blocs d’affaires.

On a plus de 55 000 clients aujourd’hui, la plupart acquis de cette façon. C’est ce qu’on fait au quotidien : interagir avec de nouvelles personnes pour ensuite être en relation avec elles. Donc, pour nous, ce transfert n’est pas un gros enjeu.

C : Quels sont les critères que vous prenez en compte pour choisir un bloc d’affaires?

DG : C’est vraiment varié. Il doit y avoir un match parfait entre le vendeur et l’acheteur. On va prendre en compte le niveau de conformité des dossiers, on va se demander si cette acquisition va nous permettre de devenir une meilleure entreprise. Sur le plan financier, ça doit évidemment être une opération rentable.

Trouver du financement pour acquérir un bloc d’affaires n’est pas une mince affaire. Évidemment, si notre pratique est déficiente, il faut oublier le financement chez l’assureur, car nous sommes à l’ère de la gestion des risques réputationnels. Aussitôt qu’un conseiller se fait sanctionner par la Chambre de la sécurité financière ou l’Autorité des marchés financiers, sa vie professionnelle bascule. Les difficultés rencontrées par le conseiller fautif sont innombrables, dont évidemment le refus de toute demande de financement par un assureur.

On peut alors se tourner vers les institutions financières. Celles-ci limitent l’acquisition au montant de l’actif donné en garantie à la banque pour autoriser le prêt, car de son point de vue, l’achalandage [le nombre total de clients] n’a aucune valeur.

En 2017, on a ouvert la voie à notre industrie en réussissant à convaincre à la fois le Fonds de Solidarité FTQ et BMO d’être nos partenaires en nous offrant des montants très élevés qui n’étaient pas accrochés à des actifs tangibles comme c’était toujours le cas avant.

Ils ont basé leur décision sur notre historique de profitabilité, sur notre plan d’affaires, mais aussi sur le fait qu’on avait iGeny. En fait, c’était une des conditions du contrat de financement.

C : Que pensez-vous du fait que certains assureurs achètent la clientèle de conseillers qui prennent leur retraite?

DG : Les assureurs qui n’ont pas de réseau de distribution sont dans une situation délicate. Si les agents généraux importants détenus par les compagnies d’assurance décident de bouder un assureur qui n’a pas de réseau de distribution, celui-ci va avoir de la difficulté à vendre ses produits. Ces assureurs vont tenter d’aller chercher le client directement à travers la vente en ligne ou en achetant des clientèles, en engageant des conseillers à salaire ou à travers des webmeetings  [NDLR : visioconférences, ou réunions par vidéoconférence] pour écouler leurs produits.

C’est une tendance qui est irréversible. Ça va continuer et fort probablement s’accroître. Je ne pense pas nécessairement que ça mette la profession en danger. Les conseillers à commissions ou à salaire, dans la mesure où les clients sont servis, ont accès à des produits financiers, c’est ce qui compte.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.