Concours de vente : ôtez vos lunettes roses!

Par Daniel Guillemette | 26 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
anima21 / 123RF

Dans l’industrie des services financiers, quand on finit par s’habituer à un changement, on s’aperçoit vite qu’un autre est apparu, nous forçant à fournir de nouveaux efforts d’adaptation toujours plus importants que la fois précédente.

Les congrès de vente ont été abolis

En abolissant les congrès bisannuels visant principalement à récompenser les performances de leurs meilleurs « vendeurs », les assureurs ont démontré leur capacité à s’adapter à un courant mondial qui exige plus de transparence et d’objectivité de la part de l’industrie.

J’applaudis le geste courageux posé par un premier gros joueur, qui a lancé le mouvement que plusieurs assureurs ont suivi par la suite. Il ne faudrait cependant pas croire que ce bel effort aura pour effet de nous faire passer de la noirceur à la lumière, bien au contraire.

Les concours de vente existent toujours

Les concours de vente (parfois appelés « campagnes de vente ») visent à récompenser un conseiller pour une performance élevée sur une courte période afin d’encourager les ventes d’un produit en particulier. C’est le cas par exemple des campagnes visant à promouvoir les prêts REER, qui se déroulent généralement entre le 1er janvier et le 1er mars de chaque année.

Ces campagnes, qu’on retrouve souvent en institution, exploitent le fait que leur fenêtre d’opportunité s’ouvre et se referme rapidement. Est-il possible qu’un client se fasse pousser entre les dents un prêt REER qu’il pourrait avoir de la difficulté à rembourser? Poser la question, c’est y répondre!

Peu d’êtres humains ont la capacité de soutenir un effort intense sur une très longue période en vue d’obtenir une récompense. Puisqu’elles s’étendent généralement sur de courtes durées, les campagnes de vente ont le potentiel de placer un plus grand nombre de conseillers en position de conflit d’intérêts que les congrès liés aux ventes, ces derniers s’étirant presque toujours sur des périodes de deux ans.

Comme le démontre l’article « Bientôt la fin des concours de vente chez Manuvie? » de Conseiller, où l’on apprend qu’un assureur offre des récompenses en argent à ses meilleurs vendeurs de régimes collectifs, ces vieilles méthodes semblent encore malheureusement trop bien ancrées dans les mœurs.

Comme les incitatifs de vente

Certains assureurs offrent aux conseillers de leur réseau de distribuer non seulement leurs produits maison, mais également les produits de leurs concurrents grâce à un modèle similaire à celui des agents généraux.

La particularité de leur approche consiste à donner accès à un taux de bonification plus élevé pour leurs produits maison, au détriment des produits des autres assureurs.

On peut raisonnablement croire qu’une telle pratique augmente le risque qu’un conseiller soit tenté de privilégier son intérêt personnel plutôt que celui de son client, car l’écart entre les différents taux de bonification n’est pas négligeable (environ 20 % généralement)

Et finalement, les objectifs de vente

L’objectif de vente demeure sans conteste la pire formule qui puisse exister pour mettre un conseiller en position de conflit d’intérêts. Tout au long de ma carrière, j’ai très souvent entendu l’expression « campagne de vente », mais jamais « campagne de conseil » ou « campagne d’éthique ».

En plus d’orienter le conseil dans une seule direction, les objectifs de vente engendrent parfois chez certains conseillers un stress psychologique dont l’origine est purement mercantile et dont ils se passeraient volontiers.

À mon humble avis, les concours, incitatifs et objectifs de vente figurent parmi les pires bombes à retardement que l’industrie elle-même disperse partout sans réfléchir aux conséquences qu’ils peuvent entraîner sur l’objectivité des conseils prodigués sur le terrain.

Peut-on blâmer les conseillers qui s’y laissent prendre? Certainement! Mais si ces concours n’existaient plus, deviendraient-ils enfin de vrais professionnels offrant des conseils objectifs parfaitement alignés sur les besoins de leurs clients? Permettez-moi d’en rêver!

De la noirceur à la lumière

L’abolition des congrès liés aux ventes aura permis aux assureurs de supprimer un important poste de dépenses sans affecter leurs revenus. Les conseillers qui désirent voyager n’auront désormais qu’à le faire à leurs frais.

Mettre fin aux concours, incitatifs et objectifs de vente pourrait cependant affecter la colonne des revenus des assureurs et institutions financières qui les utilisent pour mousser les ventes de leurs produits maison. La décision risque donc d’être beaucoup plus difficile à prendre sans une intervention musclée de la part des organismes de réglementation.

L’étiquette de « vendeurs » qui colle à la peau

Les conseillers consciencieux et compétents savent précisément ce qu’ils doivent faire le matin en arrivant au bureau. Ils n’ont pas besoin de concours ou de cadeaux pour aider leurs clients. Ils n’ont pas envie de se faire tordre le bras pour vendre un produit plutôt qu’un autre, et souhaitent être rémunérés de la même manière chez tous les assureurs.

Ils veulent offrir un conseil objectif et professionnel. Ils ont l’intelligence et la capacité d’apprentissage nécessaires pour comprendre ce qui se cache derrière un produit, même le plus complexe. Ils se présentent et agissent comme des conseillers, pas comme des vendeurs.

Ils rêvent du jour où ils se feront respecter par les manufacturiers et par les régulateurs, non pas pour leur capacité à vendre des produits, mais plutôt pour leur capacité à accompagner objectivement leurs clients dans toutes les décisions visant leur sécurité financière.

La fin des congrès liés aux ventes me permet de rêver à l’abolition éventuelle des autres incitatifs. Les conseillers pourront enfin exercer leur profession en toute liberté d’esprit, au grand bénéfice de la population, qui n’espère que cela.

Au moment d’écrire ces lignes, je vois donc une étoile dans la nuit noire. Une étoile filante, certes… Mais je vois enfin autre chose que la noirceur!

Daniel Guillemette

Daniel Guillemette est conseiller en sécurité financière depuis 1984. Il a terminé ses études en fiscalité à l’Université de Sherbrooke en 2000. Il dirige plusieurs cabinets de services financiers qu’il a acquis au fil du temps, la première acquisition datant de 1996. En 2008, inspiré de ses propres besoins, il a commencé à s’investir dans le projet iGeny, une entreprise visant à augmenter son agilité, sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes. iGeny commercialise aujourd’hui iGeny Form, iGeny Pro, ScanSquad et offre également aux conseillers un service d’adjointes virtuelles.