BMO Assurance protégeait-elle un top producer véreux?

Par Priscilla Franken | 2 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Plusieurs clients se sont plaints du représentant Jacques-André Thibault auprès d’AIG/BMO Assurance[1] et de l’AMF, mais le multi-récidiviste est resté libre de poursuivre ses activités frauduleuses pendant de nombreuses années, révèlent les recherches de Conseiller.

« (…) il est extrêmement urgent que M. J.A. Thibault soit ramené à l’ordre et placé hors d’état de nuire ».

C’est ainsi que Jacques Duval, chroniqueur automobile bien connu, décrit celui qui était son conseiller dans le cadre de sa plainte à AIG Life of Canada.

Nous sommes le 18 janvier 2008 et c’est à Peter McCarthy, alors PDG de l’assureur et actuel PDG de BMO Assurance, que la première lettre est adressée. Elle est ensuite prise en charge par le VPA Conformité des opérations et Ombudsman aux plaintes d’AIG, Steve Parrott[2].

S’ensuit un échange de courriels entre MM. Parrott et Duval, lequel a été déposé à la cour par les avocats du conseiller en sécurité financière David Hébert parmi plusieurs autres éléments de preuve dans le cadre de sa poursuite contre BMO Assurance, son PDG Peter McCarthy et deux de ses vice-présidents, Daniel Walsh et Caron Czorny.

Le « plus grand producteur » du Canada au sommet de sa gloire. Malgré la radiation temporaire que le comité de discipline de la CSF lui inflige en octobre 2003, M. Thibault est encensé par AIG pour ses chiffres de vente de 2002 et 2003.

« SON SEUL OBJECTIF ÉTAIT DE S’ENRICHIR À MES DÉPENS »

On découvre à la lecture de ces courriels que M. Duval réclame l’annulation immédiate d’une police que lui a vendue M. Thibault, accusant ce dernier d’avoir pour seul objectif de « s’enrichir à ses dépens ».

Sur un ton particulièrement excédé, l’auteur de la plainte menace de confier son dossier à des émissions de télé consacrées à la protection du consommateur « afin d’ouvrir les yeux du public sur les pièges et dangers tendus par des représentants comme J.A. Thibault avec l’assentiment d’entreprises comme AIG et la Banque de Montréal ».

« Sachez que je commence déjà à recevoir des appels téléphoniques d’autres personnes ayant souscrit des polices d’AIG par l’entremise de M. Thibault et que celles-ci commencent à s’inquiéter du bien-fondé de leurs investissements », souligne également M. Duval.

Il affirme par ailleurs : « une simple lecture de la police d’assurance eut été suffisante pour se rendre compte qu’elle comportait des risques d’une énormité que n’importe quel spécialiste en finance aurait pu repérer ».

Le 15 février 2008, après plusieurs échanges, M. Parrott fait part de sa décision. Il refuse d’annuler la police en question, écrivant notamment au plaignant : « (…) les arrangements que vous avez pris semblent bel et bien fondés ».

Jacques Duval décide alors de faire appel à ses avocats. Dans son dernier envoi à Steve Parrott, il lâche : « vous ne connaissez de la situation que ce que vous a dit M. Thibault, juge et partie dans cette affaire et bon ami de votre président ».

Or, des échanges écrits qui ont eu lieu entre M. Thibault et M. Parrott quelques jours auparavant confirment l’intervention de Peter McCarthy dans le dossier. Plus précisément, on y apprend qu’une rencontre s’est tenue le 8 février 2008 entre M. Thibault, M. McCarthy, M. Tavares, membre de la direction de BMO, et M. André Azzi, conseiller en sécurité financière que M. Duval rencontrera à plusieurs reprises en tant que médiateur dans le cadre du règlement de son litige avec AIG.

« Lors de la rencontre avec Monsieur Tavares et Monsieur McCarthy, le changement pour revenir au capital + fonds ne cause pas de problème », écrivait M. Thibault à M. Parrott le 13 février 2008.

UNE SECONDE PLAINTE BALAYÉE SOUS LE TAPIS

Steve Parrott a-t-il néanmoins tenté de contacter ces « autres personnes ayant souscrit des polices d’AIG par l’entremise de M. Thibault » que lui mentionne M. Duval et qui « commencent à s’inquiéter du bien-fondé de leurs investissements » ?

« Il ne m’a pas demandé leurs noms », répond Jacques Duval en entrevue avec Conseiller.

Dommage. Car parmi ceux-ci figure Yoland Girouard, anesthésiste. Jacques-André Thibault lui a vendu une police d’assurance vie d’un capital assuré de 10 000 000 $ (en coûts TRA) début 2007.

Comme M. Duval, il n’avait pas besoin d’assurance vie. Comme M. Duval, il est convaincu que l’ex-conseiller a abusé de sa confiance et lui a menti pour lui vendre ce produit. Et comme M. Duval, M. Girouard adresse une plainte contre M. Thibault à Peter McCarthy le 28 février 2008 dont Conseiller a également obtenu copie.

Extrait : « (…) Il était donc clair que le montant pour lequel il [M. Thibault, NDLR] m’avait couvert ne tenait pas du tout compte de mes besoins et de ma capacité financière mais plutôt de sa commission à lui. »

Comme M. Duval encore, M. Girouard se fera répondre par M. Parrott que « (…) nous n’avons aucune raison de croire que des gestes inappropriés ont été posés relativement à la vente de ladite police ».

« LES DIRIGEANTS DE CETTE COMPAGNIE NE BOUGENT PAS »

Insatisfait, il écrit une seconde fois à Peter McCarthy, soit le 28 avril 2008, pour plaider à nouveau sa cause.

Extrait : « La compagnie d’assurances a aussi, j’imagine, un lien éthique avec le client. Si le client vous dit qu’il n’a pas été écouté, qu’il a des témoins qu’à plusieurs reprises il a mentionné au courtier [M. Thibault, NDLR] qu’il n’avait sûrement pas besoin d’autant de protection pour maximiser ses placements, comment ne pourriez-vous pas au moins l’écouter sinon le croire? »

Peine perdue. Dans une lettre datée du 20 mai 2008, M. Parrott réitère : « (…) nous n’avons constaté aucun geste inapproprié posé relativement à la souscription de la police susmentionnée ».

Le 19 mai, M. Girouard écrivait à l’AMF pour porter plainte contre M. Thibault, mais aussi contre AIG. Il déclarait notamment dans cet envoi : « AIG est au courant de la situation mais les dirigeants de cette compagnie ne bougent pas. Je sais fort bien que de grands liens ont été tissés avec le temps entre Thibault et le président d’AIG. Il semble que Thibault soit celui qui en bout de ligne empêche tout règlement du litige.

La compagnie AIG doit bien se rendre compte des montants faramineux d’assurances que Thibault vend aux clients. C’est très surprenant qu’il n’intervienne pas. Quand ça n’a pas de bon sens, la compagnie devrait en être aussi tenu responsable ».

Steve Parrott, à la retraite depuis janvier 2016, n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.

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[1] BMO a fait l’acquisition d’AIG le 1er avril 2009. [2] Peter Mc Carthy est PDG de BMO Assurance depuis le 1er avril 2009, date à laquelle BMO a fait l’acquisition d’AIG Life of Canada. Il était auparavant PDG d’AIG depuis 10 ans, soit depuis 1999. Quant à Steve Parrott, il était AVP, Operational Compliance d’AIG avant de devenir, en janvier 2010, vice-président, règlements structurés et financement à la liquidation des droits à BMO Assurance. Il a pris sa retraite en janvier 2016 et a été remplacé par Yves L. Giroux.

Priscilla Franken