Produits dérivés : des préjugés à déconstruire

Par Bernard Viau | 9 janvier 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : ximagination / 123RF

Pour la grande majorité des investisseurs et plusieurs conseillers, les produits dérivés sont mystérieux, difficiles à expliquer et souvent des synonymes de spéculation. Pourtant, ils méritent que l’on s’y attarde. Voici comment aborder le sujet avec vos clients.

Dans les années 1990, j’assistais à une conférence d’économie donnée par un gestionnaire de fonds canadien très respecté dont je tairai le nom par discrétion. À la fin de l’événement, je lui ai demandé pourquoi ses produits n’utilisaient pas des produits dérivés comme instrument de couverture pour diminuer le risque global. Sa réponse m’a complètement désarçonné : « Je ne fais pas de spéculation. » Dix ans plus tard, j’ai reçu exactement la même réponse, cette fois d’un CFA, gestionnaire de fonds affilié à l’institution financière où je travaillais.

Les choses ont cependant évolué. En 2011, l’un des plus importants FNB utilisant la stratégie de vente d’options d’achat couvertes, le Horizons Enhanced Income Equity, a vu le jour et aujourd’hui, j’en compte plus d’une trentaine qui s’en servent. Si certains produits dérivés s’avèrent risqués, les fonds de couverture (hedge funds) par exemple, d’autres peuvent être utilisés sans trop de crainte.

LES PRODUITS DÉRIVÉS TRADITIONNELS

Les produits dérivés les plus connus sont les options sur titres boursiers et les contrats à terme. Techniquement, à la différence des actions où la quantité en circulation est limitée, un produit dérivé est littéralement créé de toutes pièces lorsque vous l’achetez ou le vendez.

Dans un contrat à terme, les parties impliquées s’engagent à acheter (ou à vendre) une quantité précise d’un bien (blé, pétrole, or, etc.) ou d’un produit financier (monnaies, indices boursiers, obligations, etc.) à un prix et à une date déterminés, peut-on lire sur le site web de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

On peut ainsi assimiler les produits dérivés à une assurance. Ils effectuent un transfert de risque entre deux intervenants : celui qui possède le produit et qui court un risque (hedger, ou opérateur en couverture) et celui qui accepte de prendre en charge ce risque (spéculateur).

Par exemple, un entrepreneur agricole (hedger) qui possède plusieurs champs de maïs court deux risques importants : les mauvaises conditions météorologiques et une baisse du prix de vente de son produit. Si le prix du maïs monte rapidement, il fera plus d’argent que prévu, mais s’il s’effondre, il risque de perdre gros. Il recherchera donc une sorte de protection contre ces dangers.

C’est ici que les spéculateurs entrent en scène. Ils vont couvrir ces risques afin de tenter de réaliser un gain. Ainsi, l’acheteur du contrat s’engage à acquérir l’actif sous-jacent (ici, le maïs) à un prix déterminé à la date d’expiration du contrat. Le hedger ne bénéficie pas d’une éventuelle hausse de prix, mais est protégé d’une baisse. L’acheteur réalise un revenu si, à la vente du contrat ou à son échéance, le prix du sous-jacent est plus élevé que celui spécifié au contrat.

Quant aux options, on peut les comparer à une offre d’achat sur une maison : vous signez avec un courtier immobilier un contrat où vous vous engagez à acheter une maison donnée, à un prix donné et dans un laps de temps déterminé. La même logique s’applique aux options négociées en Bourse : l’investisseur s’engage à acheter ou à vendre un produit financier (le plus souvent des actions) à un prix donné et avant une échéance précise. Après cette date, l’option ne vaut rien.

Par exemple, un investisseur pourrait payer 10 $ pour une option d’achat de 100 actions de la compagnie Y au prix de 50 $, valable jusqu’au 14 février 2020. Le 10 février, le titre de la compagnie Y vaut 60 $. L’investisseur pourrait décider de « lever son option » et d’acquérir les 100 actions au coût de 50 $, puis de les revendre au prix du marché, soit 60 $, faisant ainsi un gain de 990 $ (10 $ de gain x 100 actions – 10 $ de coût d’achat de l’option).

Si le coût de l’action ne dépasse pas 50 $ avant le 14 février, l’investisseur ne lève pas son option. Il perd ainsi sa mise initiale, soit 10 $.

VENTE D’OPTIONS D’ACHAT COUVERTES

Les produits dérivés sont souvent considérés comme risqués. Il existe pourtant un type de stratégie prudente et rentable que vous pouvez conseiller à vos clients. Il s’agit de la vente d’options d’achat couvertes (covered call), dont se servent plusieurs fonds de placement.

Elle consiste à vendre un contrat d’options d’achat tout en détenant un nombre équivalent d’actions du titre sous-jacent. Cela permet d’espérer tirer un gain de la vente du contrat d’options d’achat, tout en obtenant un deuxième profit grâce aux dividendes reçus des titres sous-jacents.

Les produits dérivés comportent cependant un effet de levier, faisant courir des risques financiers, mais pouvant également procurer des gains potentiels intéressants. Ils conviennent donc surtout à des investisseurs aisés, capables d’essuyer une perte importante, et qui connaissent assez la finance. Le covered call est la stratégie la plus prudente en matière de produits dérivés, car le fonds qui l’utilise agit comme hedger et non comme spéculateur.

LES OPTIONS BINAIRES

Vos clients vous interrogeront peut-être à propos des options binaires et du marché des devises (FOREX). Des publicités frôlant l’illégalité se retrouvent fréquemment sur le web à ce sujet.

Une option binaire s’apparente à un jeu de hasard, mais elle a pourtant des caractéristiques similaires aux options ordinaires. L’investisseur mise sur la hausse ou la baisse de la valeur d’un produit financier donné en fonction d’un seuil précis sur un court laps de temps, par exemple une heure. S’il a raison, il conserve sa mise et gagne une prime déterminée à l’avance. S’il a tort, il perd tout.

Les sites Internet qui proposent d’y investir font miroiter des gains énormes, une simplicité d’usage et des transactions rapides. L’AMF met régulièrement en garde les investisseurs contre ces plateformes, mais comme elles sont basées à l’étranger, elles échappent à bien des contrôles. Aucun site de ce type n’est agréé au Québec actuellement et certains sont carrément frauduleux. En cas de litige, quel recours légal aurait votre client contre un courtier situé à Chypre ou aux Îles Vierges britanniques?

La Securities and Exchange Commission américaine, l’équivalent de notre AMF, a autorisé l’émission d’options binaires listées et standardisées. On peut en acheter par l’intermédiaire de l’American Stock Exchange et du Chicago Board Options Exchange. N’en déduisez pas que toutes les plateformes qui utilisent des options binaires sont sécuritaires, loin de là. Le problème n’est pas l’option binaire en soit, mais la plateforme et le courtier qui sont parfois mal intentionnés. Personnellement, je conseillais à mes clients de les éviter totalement.

Les options binaires sont intimement liées au FOREX (foreign exchange), un marché où les investisseurs, comme les banques et les caisses de retraite, s’échangent des devises. Par exemple, une partie propose d’échanger un certain nombre d’euros contre un certain nombre de dollars, versés par l’autre partie. Les banques visent ainsi à couvrir leurs positions sur le marché des changes (hedger).

Les options binaires sur le FOREX proposent donc de miser sur la hausse ou la baisse de valeur d’une monnaie par rapport à une autre. Les grandes banques sont à la base du FOREX, car elles détiennent les réserves monétaires les plus importantes. Par contre, les plateformes d’options binaires sur le FOREX sont créées par des intermédiaires, des courtiers, qui peuvent être plus ou moins solides financièrement.

Le FOREX est complexe. Il ne convient qu’aux clients qui peuvent essuyer des pertes potentielles importantes et qui acceptent de consacrer au moins une vingtaine d’heures pour étudier les devises et apprendre à y investir.

POURQUOI UTILISER LES PRODUITS DÉRIVÉS

Les produits dérivés peuvent avoir leur place dans le portefeuille du client moyen. En tant que conseiller, il vous suffit de bien comprendre leur fonctionnement et de lui proposer les solutions les plus adaptées à sa situation. Par exemple, la vente d’options d’achat couvertes peut s’avérer sécuritaire si vous choisissez d’investir environ la moitié du pourcentage en actions recommandé par le profil d’investisseur du client dans un fonds utilisant cette stratégie.

Si le fonds investit dans des actions américaines, rappelez-vous cependant que les dividendes seront imposés aux États-Unis, à moins d’être dans un REER. Les revenus tirés de la vente d’options seront, quant à eux, considérés comme du gain en capital. Pensez aux incidences fiscales pour mettre cet investissement dans le bon outil de placement, enregistré ou non enregistré.

Les produits dérivés recèlent aussi des occasions de prospection, que j’ai utilisées à de nombreuses reprises. Si vous avez un client entrepreneur, n’hésitez pas à parler de l’aspect protection des produits dérivés avec lui. Un entrepreneur en camionnage, par exemple, sera sensible au prix du pétrole et donc intéressé à entendre votre avis sur les contrats à terme sur l’or noir. Pour en apprendre plus sur le sujet, n’hésitez pas à consulter le site web de l’Union des producteurs agricoles, de la Banque du Canada et du Mouvement Desjardins.

Bernard Viau est conseiller à la retraite. Il a travaillé en valeurs mobilières, spécialisé en produits dérivés, ainsi qu’en assurance de personnes.

Bernard Viau