Se préparer à parler succession

Par Ioav Bronchti | 26 avril 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Homme d'affaires mature, regardant par la fenêtre d'un immeuble.
Photo : HONGQI ZHANG / 123RF

Alors que je débutais dans le milieu des successions, un couple d’amis m’a demandé de l’aide pour planifier leurs testaments. Je leur ai répondu en envoyant quelques disponibilités et une liste de questions préparatoires pour la rencontre. J’étais fier de moi. Ça couvrait beaucoup de sujets et ils allaient arriver prêts. Ils m’ont répondu qu’ils en prendraient connaissance et ne m’ont plus jamais parlé de succession…

Se préparer à une rencontre de planification successorale, c’est se poser beaucoup de questions qui ouvrent plusieurs portes. Où mènent ces portes? C’est un mystère pour celui qui connait mal ce domaine, c’est-à-dire presque tout le monde. C’est étourdissant et beaucoup abandonnent pour cette raison comme mon couple d’amis.

C’est pour ça que maintenant, je préfère accompagner mes clients dans leur réflexion, et ce, dès le début. Quand on me demande comment se préparer, j’ai tendance à répondre qu’il ne faut surtout rien faire. J’escorte les clients dans leur questionnement et on ferme les portes qui ne mènent nulle part. Un peu comme un libraire qui nous conduit là où on risque de trouver le livre que l’on cherche. On élimine des rayons et on gagne du temps, mais c’est nous qui choisissons le livre et non lui.

LES QUESTIONS FONDAMENTALES

Ma première question est toujours la même. Si vous décédiez aujourd’hui (ou dans longtemps, mais avec la même situation plus ou moins), à qui aimeriez-vous que vos biens soient distribués ?

Ça semble vaste, mais la plupart des gens ont une réponse assez précise : « je veux m’assurer que X en ait assez pour vivre », « j’aimerais que mes enfants bénéficient de mon argent ultimement », « je veux aider un organisme », « je veux aider mes petits-enfants dans leurs études », « je veux que ma fille en reçoive moins que son frère pour compenser tel ou tel don que je lui ai fait », etc.

Ensuite, on peut explorer le pourquoi, afin de déterminer le besoin avec plus de précision. Ça semble fou de demander « pourquoi vous souhaitez léguer de l’argent à votre conjoint? » Pourtant, il y a beaucoup de réponses différentes : « je veux m’assurer qu’il en aura assez », « je veux qu’il sache qu’il est important », « je veux reconnaître que ce que j’ai fait c’est grâce à lui », « parce qu’on a toujours tout partagé », etc.

Chacune de ces raisons pointe vers une solution différente : un legs d’un montant précis, une fiducie qui s’assurera du bien-être du conjoint et du fait que le capital finira entre les mains des enfants, une assurance-vie, une rente, la conservation de la résidence principale, etc. D’autant plus s’il s’agit d’une deuxième union avec enfants de part et d’autre…

EN JASER AVEC SON CONJOINT

Si vous en parlez avec votre conjoint, faites-le avec légèreté, mais n’abordez pas ce sujet à la légère… Ce genre de discussion est éminemment délicate dans bien des couples et il peut subsister très longtemps bon nombre de non-dits.

Je pense, notamment, aux couples dont l’un est plus riche que l’autre ou à ces couples dont l’un a hérité et voit ce patrimoine comme « devant rester dans la famille ». Je songe aussi à ces couples où un conjoint a un besoin de reconnaissance bien plus important que le besoin pécuniaire. Pour lui, la réponse à la question « de combien tu auras besoin pour être à l’aise » l’empêche parfois de répondre avec aisance « je veux tout parce que cela me permettrait de me sentir reconnu dans ma contribution ».

Je suggère donc de limiter la discussion à un exposé de la position de chacun. Posez des questions pour bien comprendre les valeurs de vos clients, mais ne tentez pas de les influencer. En présence des deux conjoints, votre planificateur successoral pourra vous aider dans la médiation et vous faire cheminer vers une solution commune. Ou, comme ça m’est déjà arrivé, vers des solutions divergentes où on accepte le désaccord, preuve d’une écoute et de la reconnaissance de l’opinion de l’autre.

SI VOS CLIENTS VEULENT SE PRÉPARER

Aidez votre client à faire le tour de ses biens et à dresser un bilan. Cela vous aidera notamment à mieux cerner ses intérêts et vous permettra d’expliquer l’impôt au décès. N’oubliez pas de mentionner les assurances-vie, ainsi que la liste des bénéficiaires.

Enfin, pour vos clients qui souhaitent se préparer à la rencontre, voici quelques suggestions :

  • Ne pas lire son testament : partir d’une page blanche et déterminer ses besoins, puis le pourquoi des besoins;
  • Oublier les solutions : se concentrer sur le besoin et laisser son conseiller guider vers les solutions existantes;
  • Penser à l’humain (1) : déterminer ses souhaits en fonction de l’humain et non du fiscal. Votre conseiller vous dira comment optimiser vos souhaits fiscalement;
  • Penser à l’humain (2) : se mettre dans les bottines de chacun de vos légataires et se demander comment ils verraient le fait de recevoir ce qu’on leur destine. Oubliez vos valeurs, pensez à leur manière et demandez-vous si cela pèse dans la balance. C’est vous qui tranchez, bien sûr, mais est-ce que le fait qu’une chicane importante risque d’avoir lieu vous pousserait à envisager d’autres types de legs? ;
  • Parler à l’humain : si vous êtes à l’aise de le faire, il est positif dans bien des cas de parler à vos héritiers afin qu’ils sachent à quoi s’attendre, voir s’ils ont des attentes, ou si, au contraire, ils ne s’attendent à rien. Souvent cette discussion a lieu après une première rencontre avec votre planificateur successoral. Mais dans bien des cas, il est positif d’en parler avec votre conjoint d’avance;
  • Parler au conjoint : vous êtes marié ? Conjoint de fait ? Vos enfants sont-ils ceux de votre conjoint ? Quels seront les besoins de votre conjoint après votre décès ? Quels sont les risques de chicane ? Souhaitez-vous vous entendre avec votre conjoint sur une façon de faire le testament, ou chacun le fera à sa façon ? Tout cela mérite une bonne discussion ou plusieurs petites discussions;
  • Enfin, et surtout, ne cherchez pas à trouver la bonne réponse : il est impossible de savoir quand et dans quelle situation vous allez décéder. Prenez en considération le fait qu’il n’y a pas de solution parfaite.

On ne visite pas un psychologue ou un médecin en apportant la solution. Un planificateur successoral n’est pas là non plus pour prendre vos volontés en dictée, mais pour vous accompagner dans votre cheminement. Une simple base de vos volontés et vos enjeux lui suffira pour démarrer une discussion et vous amener à la prochaine étape de votre réflexion.

Il vous reste toujours la possibilité, bien sûr, de mourir sans le sou, ça règle bien des tracas…

Ioav Bronchti