« L’AMF est rendue trop grosse »

Par Christine Bouthillier | 20 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que la question d’intégrer la Chambre de la sécurité financière (CSF) à l’Autorité des marchés financiers (AMF) refait surface, l’avocat spécialisé en assurance Yves Le May proteste contre l’adoption d’une loi qui donnerait plus de pouvoirs à l’AMF, une idée qu’il trouve « un peu ridicule ».

Me Le May a beaucoup fait parler de lui lors d’une récente sortie contre l’Autorité, dont il a dénoncé l’attitude répressive dans une lettre envoyée au ministère des Finances du Québec en mars dernier. L’industrie de l’assurance étant en pleine transformation, Conseiller l’a interrogé sur les changements réglementaires à venir, les concours de vente et les différents produits offerts, notamment sur Internet.

Conseiller : Que pensez-vous des modifications qu’apportera le projet de loi omnibus à l’ensemble des lois du secteur financier?

Yves Le May : J’ai entendu parler de la possibilité de transférer tous les pouvoirs des Chambres à l’Autorité… C’est un peu ridicule. L’AMF est rendue trop grosse, il y a beaucoup de bois mort là-dedans.

On a créé un empire. Il y a tellement de tentacules dans l’Autorité que si on en ajoute encore, son personnel ne se comprendra plus lui-même!

Le Québec est la province la plus règlementée au Canada. Dès qu’il y a un problème, on veut le régler par une nouvelle législation et ce, dans tous les domaines, pas juste en services financiers. Nous avons une bonne réputation au chapitre de la surveillance, mais il faudrait décaper. On ne le fait pas beaucoup!

On n’est plus capable d’avoir l’heure juste. On a l’impression que ceux qui s’occupent de surveillance en assurance veulent dicter aux compagnies leur ligne de conduite, surtout les plus petites : leur façon d’investir, leur façon de se développer, alors qu’ils n’ont aucune expérience là-dedans. Ils ont de beaux diplômes, mais pas beaucoup de pratique! Et de toute façon, ce n’est pas leur rôle de mener les compagnies d’assurance.

Par exemple, la diminution du nombre de petits cabinets, on la doit un peu à l’AMF. On a tellement élevé les normes de solvabilité (elles sont passées de 120-130 % à 200 % dans certains cas en 2012-2013) qu’on a forcé, d’une certaine façon, les fusions-acquisitions.

On a tendance à exiger des normes plus élevées des petites compagnies que des grosses, car ces dernières ont les moyens de rouspéter!

Les Chambres ne sont pas parfaites, mais elles font un travail correct. Il faut que les représentants en assurance s’administrent eux-mêmes, non pas qu’ils le soient par le haut.

L’autoréglementation a évolué depuis 25 ans. Les gens se sont rendus compte qu’il fallait se donner des normes sévères. Par exemple, le remplacement des polices d’assurance n’a pas été imposé par en-haut.

Les représentants ont un intérêt différent des compagnies d’assurance et de l’AMF, notamment en ce qui a trait à la distribution directe. Il faut les entendre.

Me Yves Le May.

Me Yves Le May.

C : Qu’est-ce qui doit changer dans la Loi sur les assurances?

YLM : La loi a assez bien évolué, mais il reste des anicroches. On a toujours dit qu’on devait donner le pouvoir fiduciaire aux assureurs, qu’on le ferait par règlement, mais on ne l’a jamais fait. Il y a beaucoup d’aspects dans la loi sur lesquels on pourrait agir par règlement, mais il ne se passe rien.

Au chapitre des fusions, actuellement, il faut pratiquement procéder par un projet de loi d’intérêt privé, alors que des articles qui se trouvent dans la loi, mais ne sont pas en vigueur, prévoient la fusion. On devrait enfin les appliquer.

Et aussi permettre la fusion d’une compagnie québécoise avec celle d’une autre province ou fédérale. Actuellement, il faut également un projet de loi d’intérêt privé pour le faire. C’est un processus très lourd, ça prend six mois avant qu’il soit adopté par l’Assemblée nationale et il faut l’accord du gouvernement et de l’AMF.

Les entreprises de la taille d’Industrielle Alliance, par exemple, ont les moyens d’attendre, mais les plus petites, pas nécessairement.

Au sujet des comités de déontologie et de vérification, la loi permet à une compagnie d’assurance d’avoir entre sept et 15 administrateurs. Si elle n’en a que sept, il est interdit qu’il y ait plus d’un membre qui siège sur plusieurs comités. Mais il y a aussi des comités de ressources humaines, de placement… C’est impossible d’avoir quatre comités indépendants avec sept administrateurs différents.

La norme devrait se limiter aux comités de déontologie et de vérification. Mes sources au ministère des Finances m’ont dit que ce serait possiblement fait.

Et que dire des lignes directrices. Imprimez-les et vous aurez 250 pages… Et ce ne sont que des lignes directrices!

Chez Industrielle Alliance, par exemple, il y a au moins trois personnes qui s’occupent de déontologie et de conformité. C’est coûteux. Et ceux qui ont ces responsabilités ne sont pas engagés dans la direction générale, ils en sont plutôt les conseillers.

On ne peut pas demander à un président de cabinet d’être un expert en conformité. Les exigences sont beaucoup trop élevées.

Dans bien des compagnies, on se contente de remettre un cahier aux administrateurs, et il n’est pas ouvert souvent! Il y a trop de règles et elles ne sont pas rédigées dans un langage nécessairement compréhensible.

C : Que pensez-vous des concours de vente?

YLM : Ce n’est pas un moyen extraordinaire de développer ses ventes. Ça incite à offrir le produit qui est le plus payant pour le représentant, ce qui n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’assuré. Ça peut être défendable pour un nouveau produit, mais de façon régulière, non.

La Chambre devrait interdire les concours ou les réglementer fortement. Elle aurait intérêt à les régir, cela fait partie de son rôle d’autoréglementation. Elle devrait prendre cette responsabilité sous son aile pour ne pas se faire imposer de législation.

C : Et la vente de produits d’assurance sur Internet?

YLM : Pour moi, des produits simples peuvent être offerts sur le web, comme l’assurance vie temporaire pour un terme ou 100 ans, mais pas tous. Il faut que la proposition d’assurance soit simple et claire.

Dès qu’il y a des valeurs de rachat, des possibilités d’emprunt, ou de l’assurance vie universelle avec des placements, ça ne peut pas fonctionner. Les risques doivent être expliqués, et ça peut difficilement se faire sur Internet.

C : Dans votre lettre au ministre des Finances, vous parlez de « produits d’assurance qui n’ont d’assurance que le nom ». À quels produits faites-vous référence?

YLM : En assurance-crédit automobile, par exemple, les commissions de l’industrie atteignent 70 % de la prime payée. Avec les frais administratifs, taxes et autres, il n’y a que 10 % de la prime payée qui va réellement à la couverture d’assurance. Pour moi, c’est du vol.

Ça fait des années que je le dis à l’AMF, mais il ne se passe rien, car les concessionnaires sont puissants.

En assurance vie, avec par exemple une prime nivelée par année de 10 % de commission, vous payez pour 90 % d’assurance. Il y a des états américains qui ont établi des normes non obligatoires : 50 % me semble un bon guide.

D’autres produits présentent le même problème, comme l’assurance décès ou mutilation accidentelle. Le pourcentage de réclamation dans ces produits est très peu élevé, c’est du bonbon pour les compagnies d’assurance.

C : Que pensez-vous de l’assurance vie universelle?

YLM : C’était la mode dans les années 1990-2000. À l’époque, les taux d’intérêts étaient plus élevés, mais aujourd’hui, c’est beaucoup moins vendu. Avec des taux presque négatifs, c’est moins avantageux.

La clientèle visée, ce sont les gens plus fortunés. Pour le moment, ce n’est pas la meilleure solution pour eux, justement à cause des taux. Elle peut être jointe à des produits comme des fonds de placement, mais il reste qu’il faut choisir les bons fonds!

Pour ce qui est de son utilisation pour les placements sans réel besoin d’assurance, on entre dans le domaine de la taxation, dont je ne suis pas spécialiste. À première vue, je ne vois pas de problème éthique si c’est bien vendu. Les représentants qui offrent ces produits ne sont pas des débutants!

Cette assurance offre un élément de protection et un élément de placement. L’élément de protection est bon pour tout le monde, on ne sait jamais ce qui va arriver. Pour les placements, ça dépend des moyens de l’assuré et il ne faut pas qu’il fasse les investissements par lui-même.

Pour lire la réplique de l’AMF, c’est ici.

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Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.