Le CELI, au-delà du fonds d’urgence

Par Gérard Bérubé | 11 octobre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le CELI vieillit bien. On a finalement cessé de le percevoir comme un compte d’épargne traditionnel. En raison de sa flexibilité, on lui confère désormais un rôle pivot dans une démarche de planification financière.

Lancé en 2009, le compte d’épargne libre d’impôt a pris sa place. Hélène Marquis, directrice régionale, Planification fiscale et successorale à Gestion privée de patrimoine CIBC, l’apprécie pour sa souplesse et voit dans ce compte un excellent outil d’épargne pour tous, un « incontournable » pour la classe moyenne. Avec son plafond de cotisation à 52 000 $ en 2017 pour ceux qui n’y ont pas encore fait de versement, il offre désormais un plus large éventail de choix de placement, note Ricardo Antuna, conseiller principal, Planification et fiscalité au Trust Banque Nationale.

« Avant, le CELI était vu comme un fonds d’urgence et il attirait surtout du revenu fixe et des liquidités. Aujourd’hui, son horizon s’est étendu au long terme et on observe un mouvement vers les fonds négociés en Bourse et les actions canadiennes », dont le rendement espéré potentiel est plus élevé, ajoute- t-il.

« Aujourd’hui, son horizon s’est étendu au long terme et on observe un mouvement vers les fonds négociés en Bourse et les actions canadiennes. »

– Ricardo Antuna, conseiller principal, Planification et fiscalité au Trust Banque Nationale

ARBITRAGE REER- CELI

Les clients font désormais la part des choses entre le REER et le CELI et n’hésitent plus à les combiner, ou à faire un choix. Comment s’assurer d’épargner de façon optimale ? Le REER donnant droit à une déduction fiscale lors de la cotisation, la réponse à cette question dépend du taux d’imposition réel au moment de la cotisation et lors du décaissement.

S’ajoutent à l’équation la présence ou non d’un régime complémentaire de retraite et les besoins financiers avant la retraite. Le revenu imposable lors du décaissement et son impact sur les prestations sociales entrent aussi en ligne de compte dans l’utilisation que l’on fait du CELI.

« Il aura [donc] un avantage sur le REER plus on approche du seuil de récupération de la Sécurité de la vieillesse par le gouvernement ou si le Supplément de revenu garanti (SRG) est en jeu », explique Hélène Marquis. « Il pourrait même être préférable d’encaisser le REER avant l’âge de 65 ans et de mettre cet argent dans un CELI si l’on veut conserver son droit au SRG », renchérit Denis Preston, planificateur financier et formateur à l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

« Un excellent outil d’épargne pour tous, un « incontournable » pour la classe moyenne. »

– Hélène Marquis, directrice régionale, Planification fiscale et successorale à Gestion privée de patrimoine CIBC

STRATÉGIES INFINIES

Les stratégies sont multiples. Cotiser à son REER, au CELI, au REEE ou rembourser son hypothèque ? La priorité est fixée au cas par cas et diffère selon les situations. De nombreuses variables sont prises en considération : taux de rendement des placements, mise de fonds sur la maison, etc. Pour tester divers scénarios, l’IQPF propose une grille de simulation sur son site web. « Si nous voulons être plus tactiques, le CELI a ceci d’intéressant qu’il demeure un outil de placement plus flexible », précise Bruno Therrien, directeur régional, Services financiers au Groupe Investors.

« Auparavant, nous n’avions essentiellement à notre disposition que le fonds de catégorie de société, dont le rôle ultime est le report de l’imposition, et qui reste plus restrictif fiscalement parlant. Aujourd’hui, le CELI a un rôle pivot à jouer dans une planificaton financière globale », affirme-t-il.

L’éventail élargi de comptes fiscalisés permet aussi des transactions complémentaires ou croisées invitant à cotiser au REER et à placer le remboursement d’impôt dans le CELI ou le REEE. D’autres spécialistes vont jongler avec le trio REER- CELI-assurance vie universelle ou REER- CELI-fonds de catégorie de société pour mettre les revenus de placement à l’abri de l’impôt ou, dans le cas de l’assurance vie universelle et des fonds de catégorie de société, reporter l’imposition.

Ricardo Antuna évoque aussi une stratégie plus avancée, relativement nouvelle, visant à minimiser, voire éliminer l’imposition d’un retrait REER. Inspirée des tactiques du TFSA MaximizerMC (NDLR : optimisateur de CELI, traduction libre), l’approche fait appel à l’emprunt sur une propriété peu ou pas hypothéquée à des fins d’investissement et se sert du CELI. Résumée simplement, la stratégie consiste à transférer indirectement un REER dans un CELI par l’entremise d’un placement garanti, généralement par la propriété. Le recours à l’effet de levier aura pour objectif de dégager une dépense d’intérêt déductible d’impôt venant atténuer la ponction fiscale sur le retrait REER. Au Québec, la déductibilité des intérêts est toutefois limitée aux revenus de placement générés et non pas aux retraits REER. La stratégie devient donc plus « alléchante » dans le reste du Canada.

« On y met de la croissance on veut du rendement. »

– Alain Folco, directeur exécutif et chef régional, Gestion privée du patrimoine à Wood Gundy, Québec

RÉPARTITION D’ACTIF : LAISSER LES VIEUX RÉFLEXES DE CÔTÉ

Cette approche holistique vaut aussi pour la répartition d’actif au sein du CELI. « Il n’y a pas d’automatisme. Le vieux réflexe de privilégier le revenu d’intérêt, pleinement imposable, au sein des comptes fiscalisés, et laisser dividende et gain en capital dans les comptes imposables ne tient plus réellement avec la faiblesse des taux, [qui restent bas malgré les hausses récentes]. On y met de la croissance, on veut du rendement », soutient Alain Folco, directeur exécutif et chef régional, Gestion privée du patrimoine à CIBC Wood Gundy, Québec.

Plus on est jeune, plus on peut se permettre d’absorber un revers de marché ? Pas toujours, indique-t-il. « Ce n’est pas vrai pour un jeune prévoyant l’achat d’une propriété sur un horizon de cinq ou sept ans. À l’autre bout du spectre, un travailleur prenant sa retraite à 60 ou 65 ans se retrouve avec une espérance de vie de 25 à 30 années à financer. Doit- il éviter tout risque dans ses placements ? Pas nécessairement. »

Pour le spécialiste de la CIBC, la répartition d’actif dépendra de quatre variables : la raison pour laquelle on utilise le CELI (réduire l’impôt, combler un objectif à court ou moyen terme, épargner pour la retraite, fractionner le revenu, maintenir l’accessibilité aux programmes gouvernementaux, etc.), l’horizon de placement, le poids du CELI sur l’ensemble des placements et la tolérance au risque. DES CONTRAINTES Cet outil de placement présentait peu de contraintes jusqu’à tout récemment.

Denis Preston rappelle l’audit de l’Agence du revenu du Canada, commencé en 2011, et qui a abouti à des avis de cotisation totalisant 75 M$ auprès de détenteurs utilisant leur CELI dans un contexte de planification fiscale abusive. La multiplication des transactions est en cause, avec le day trading notamment dans la mire.

Sans préciser le nombre qu’elle juge acceptable, l’Agence apparaît maintenant plus attentive à la fréquence des transactions dans le compte. À partir d’un certain seuil, le revenu de placement non imposable est considéré comme un revenu d’entreprise 100 % imposable. Le planificateur financier indique également qu’un impôt peut être payable même sur un revenu généré au sein du CELI. C’est notamment le cas de l’impôt étranger et d’une retenue à la source sur le dividende, pouvant atteindre 15 % lorsqu’il y a présence d’actions américaines ou de fonds d’actions américaines dans le compte.

L’on retient enfin que le CELI n’est pas inclus dans le patrimoine familial. Et qu’au moment du décès, à des fins de succession, le CELI s’inscrit dans le reliquat. Il n’entre pas dans la clause des comptes enregistrés, précise Ricardo Antuna. Ainsi, il ne va pas au conjoint survivant. Tous les autres héritiers peuvent prétendre y avoir droit.


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2017 de Conseiller.

Gérard Bérubé