Les obligations vertes : pousser plus loin l’investissement responsable

Par Gérard Bérubé | 21 février 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les « obligations vertes » de la Banque mondiale viennent apporter une nouvelle dimension à l’investissement socialement responsable. Composant encore un marché restreint, ces obligations devraient voir leur demande stimulée par la stratégie d’investissement que vient d’articuler State Street. Offerts aux investisseurs institutionnels depuis 2008, ces titres poussent toujours plus loin la notion d’investissement responsable. Après les fonds éthiques et les « fonds verts », la Banque mondiale crée ainsi un lien direct entre les investisseurs et les projets environnementaux, ici associés au réchauffement climatique. Mais sans les risques inhérents à l’investissement direct.

State Street Corporation est venue élargir le spectre de la distribution de ces « obligations vertes » en lançant en octobre dernier la « High Quality Green Bond », présentée comme étant une nouvelle stratégie d’investissement obligataire vouée au développement du financement de projets bénéfiques à l’environnement. L’un des plus grands gestionnaires au monde, avec un actif sous gestion de plus de 300 G$ US dont le tiers prend la forme d’investissements dits responsables, suivait ainsi de quelques mois l’entrée en scène de Bank of America Merrill Lynch. Cette dernière décidait en mai d’offrir des « obligations vertes » arrivant à échéance en 2021 et comportant un taux de coupon de 3,5 % la première année, pour devenir un taux flottant ensuite.

Mais en devenant le premier gestionnaire de fonds à articuler une stratégie d’investissement englobant cet instrument financier, State Street Global Advisors est susceptible de jouer un rôle de catalyseur dans ce segment encore embryonnaire. « Les gestionnaires d’actifs se voient de plus en plus sollicités par leurs clients leur demandant de considérer le développement durable et les facteurs environnementaux dans leur approche du marché », explique la société de gestion bostonnaise. La nouvelle stratégie obligataire offre aux investisseurs « la possibilité d’orienter leurs investissements à revenu fixe vers des solutions climatiques ».

Dans son montage, State Street s’en remet pour l’essentiel aux « obligations vertes » émises par la Banque mondiale ou par les banques de développement supranationales ou multilatérales. « Ces « obligations vertes » présentent les mêmes caractéristiques financières que les obligations normales émises par ces mêmes institutions. Elles sont en outre de la plus haute qualité en matière de notation de crédit » (soit un double A ou plus, mais se méritant le plus souvent une note triple A). Ces obligations ne comportent pas de frais additionnels et n’exposent pas leurs détenteurs au risque inhérent aux projets financés, ajoute The Economist.

Dans sa démarche, le gestionnaire vise à tendre vers la durée des obligations de son indice de référence (le Barclays Capital U.S. Treasury Index) en investissant principalement dans des « obligations vertes » et autres titres de créance.

« Nous apprécions les efforts de State Street Global Advisors pour fournir à leurs clients des produits à revenu fixe permettant d’augmenter le financement pour les solutions climatiques et nous sommes heureux d’avoir joué un rôle catalyseur pour la croissance du marché des obligations vertes », met en exergue la Banque mondiale.

Les projets financés par ces « obligations vertes » couvrent généralement ceux ayant pour objectif de faire face aux changements climatiques, soit en en atténuant les effets ou en s’y adaptant. On vise particulièrement les projets et les programmes appuyant des activités à faibles émissions de CO2 dans les pays clients de ses institutions. La vérification diligente est effectuée par les émetteurs de ces titres.

La première émission d’« obligations vertes » de la Banque mondiale a été réalisée en novembre 2008 par le groupe bancaire suédois SEB auprès de grands investisseurs institutionnels scandinaves. L’institution levait ainsi l’équivalent de 350 M$ US avec ces obligations comportant un taux de coupon annuel de 3,5 %, échéant en 2014. Depuis, la valeur cumulée d’« obligations vertes » émises par l’institution basée à Washington dépasse les 3 G$ US, répartie entre 44 émissions libellées dans quelques 16 devises. Chez les souscripteurs, les noms de SEB, de Daïwa Securities, de JP Morgan, et de TD Valeurs mobilières arrivent fréquemment parmi les principaux chefs de file.

Petit marché deviendra grand Au total, la valeur des « obligations vertes » en circulation offertes par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et par d’autres émetteurs multilatéraux est chiffrée à 5 G$ US. Tous émetteurs confondus, la taille de ce marché est estimée présentement à 12 G$ US, avec un potentiel pouvant atteindre les 30 G$ US d’ici 2015. Cela reste un petit marché pour les investisseurs institutionnels, mais l’atteinte du potentiel pourrait s’accélérer par suite de stimulation de la demande sous l’action de grands intermédiaires tel State Street, se réjouit-on à la Banque mondiale.

Pour Olivier Gamache, PDG du Groupe investissement responsable, « ce marché de projets demeure encore limité », pour l’instant. Mais à terme, l’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra investir, d’ici 2035, 13 500 G$ US dans les énergies à faible teneur en carbone afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le besoin est donc réel et à grande échelle.

Se demandant justement si un marché des « obligations vertes » ne venait pas de naître, le cabinet international d’avocats Latham & Watkins souligne que les investissements totaux dans les énergies propres ont atteint 211 G$ US en 2010, en hausse de 28 % sur un an. Les gouvernements et fournisseurs de services publics recherchent donc des façons innovatrices de financer ces initiatives, qui pourraient nécessiter des investissements de 2300 G$ US au cours de la période 2010-20. Or la liste des barrières à ces investissements spécifiques comprend la petitesse du marché de la revente des titres de dette afférents, l’absence de liquidités de ce marché secondaire et la note attribuée aux produits adossés à des actifs, qui n’entrent pas nécessairement dans la catégorie des investissements.

« Actuellement, le financement sous forme obligataire apporte une faible proportion de l’investissement dans les énergies propres », précise le cabinet, qui ajoute que les titres à revenu fixe, incluant les produits adossés à des actifs, accaparent pourtant entre 24 et 40 % de l’actif sous gestion des investisseurs institutionnels. Ces investisseurs sont toutefois peu enclins à participer directement aux projets. Ils se laissent plutôt transporter par cette demande des investisseurs pour des titres à faible risque offerts par des émetteurs de première qualité. « L’investissement direct expose à l’incertitude réglementaire et au risque technologique. »

« Il est également limité par le nombre restreint d’occasions répondant au critère d’investissement », renchérit Latham & Watkins.

Les « obligations vertes » offertes par de grands émetteurs, ou par l’intermédiaire de grands gestionnaires tels State Street, se veulent donc l’occasion, pour les grandes caisses de retraite, d’intégrer les critères sociaux, environnementaux et de gouvernance dans leur portefeuille tout en signalant leur engagement en ce sens auprès des actionnaires et des législateurs, en plus de bénéficier d’une solide notation.

Investissement responsable « Je comprends de ces obligations qu’elles constituent un produit « vert », bien fait, doté d’une belle vocation, rendu plus attrayant aux yeux des grands investisseurs », note Olivier Gamache. Le PDG du Groupe investissement responsable évoque au passage une petite controverse autour des intentions réelles de l’institution, la Banque mondiale n’étant pas sans financer également des projets moins « verts » comme des centrales au charbon. Mais il reconnaît qu’il en va de la mission élargie de la Banque mondiale consistant à appuyer les pays en voie d’industrialisation dans leur développement. Cela étant, ces « obligations vertes deviennent une étape additionnelle ou une nouvelle option dans l’évolution de l’investissement responsable. Si elles peuvent inspirer d’autres grands émetteurs », des émetteurs bénéficiant du triple A comme la Banque mondiale, par exemple, ce ne serait pas négligeable, dit-il.

Olivier Gamache rappelle qu’à la base de cette évolution on a vu les critères moraux devenir éthiques, à quoi s’est greffée une dynamique de changement dans les pratiques, avec une présence plus grande dans l’actionnariat. « Cette responsabilisation de l’actionnaire a permis l’intégration des risques – environnementaux, sociaux et de gouvernance – dans l’analyse. Puis, d’une zone de risques, nous sommes passés à une zone d’opportunités », expose-t-il. Aujourd’hui, il est désormais reconnu et largement accepté qu’« il n’y a pas d’avenir à l’investissement s’il n’est pas responsable ».

Colette Harvey, conseillère en finance socialement responsable à la Caisse d’économie solidaire Desjardins, précise également que très souvent des instruments tels les « obligations vertes » ciblent d’abord les investisseurs institutionnels, notamment les grandes caisses de retraite soucieuses de répondre aux principes d’investissement responsable. La présence de State Street devrait contribuer à stimuler la demande et à inspirer d’autres manufacturiers de produits, mais il faut un certain temps avant que l’offre de ces produits ne s’étende au marché de détail.

Ce qui n’empêche pas cette sensibilité aux investissements socialement responsables de croître parmi les investisseurs individuels. D’autant que « l’approche vise désormais à permettre cette rencontre ou ces échanges entre les entreprises et les gestionnaires de fonds autour des enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance. Nous en sommes à l’engagement actionnarial et cela se veut porteur de changement, ne serait-ce que par l’intégration des enjeux sociaux à l’analyse financière et par l’amélioration de la responsabilité sociale des entreprises. »

Les mentalités changent également dans ce marché en évolution. Colette Harvey rappelle les premiers balbutiements de l’investissement éthique, qui s’en remettaient surtout au tamisage prenant la forme d’exclusion de secteurs d’activités. « Prenons l’exemple du pétrole. Avec le poids pétrolier dans l’indice TSX au Canada, il est difficile pour un gestionnaire ou un fonds de ne pas être présent ou exposé à ce marché. » On est passé depuis à la sélection positive, qui consiste plutôt à influencer le comportement de ces entreprises et de leurs dirigeants par une approche constructive basée sur la collaboration et la responsabilisation. « On n’en est plus à punir les mauvais comportements. La finance est devenue plus proactive. » On en revient à l’engagement actionnarial, insiste-t-elle.

Et cette orientation n’est pas prise au détriment du rendement. « Intuitivement, la rentabilité est là, à long terme. S’il peut être difficile d’évaluer le coût social, le coût de réputation est, lui, plus évident. » L’histoire récente est riche en illustrations. Pensons aux secousses sur BP provoquées par la fuite de sa plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique.

Quant au rendement à plus court terme, Colette Harvey estime qu’on dénombre peut-être 85 fonds socialement responsables parmi les quelque 8000 recensés dans PALTrak.

« Ils font dans la moyenne, avec quelques-uns qui se distinguent. » La conseillère renvoie toutefois à des études confirmant la demande grandissante pour ce type d’investissement, qui compterait aujourd’hui pour 20 % de l’actif total sous gestion au Canada. Et à leur contribution positive lorsque les performances économique et sociale sont prises en compte.

Le rapport du cabinet de consultation en ressources humaines Mercer est fréquemment cité en référence. Mercer a épluché 36 études menées au cours des années 2007 et 2009 abordant ce thème de la performance économique et sociale. Du nombre, 20 études concluent à un lien positif entre l’investissement socialement responsable et le rendement, et 13 font ressortir une causalité neutre. Les trois autres parlent d’un lien négatif.

Quant à la demande, les conclusions d’un sondage Ipsos Reid réalisé pour Standard Life, rendues publiques le 11 octobre dernier, font ressortir qu’un répondant sur dix détient, dans son portefeuille, un produit d’investissement socialement responsable et que 87 % se montrent intéressés par ce segment, dont 55 % affirmant qu’ils seraient disposés à y investir s’ils offrent un rendement similaire aux outils traditionnels. La quasi-totalité des 10 % disant en détenir affiche une satisfaction moyenne à élevée, 86 % affirmant être satisfait ou très satisfait du rendement de ces instruments par rapport aux produits traditionnels.

Cet article est tiré de l’édition de février du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Gérard Bérubé