Les produits axés sur les revenus : la prochaine bulle?

Par James Price | 12 juillet 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les placements générant des revenus continuent de gagner en popularité en Amérique du Nord. Il pourrait même s’agir de la tendance la plus marquante depuis belle lurette… et une source potentielle de problèmes.

Cette tendance se distingue de celles observées par le passé. En effet, les titres générant des revenus recoupent tous les secteurs des marchés financiers et se déclinent en différentes structures de placements (actions, obligations, fonds, billets), même celles qui ne sont traditionnellement pas associées aux marchés financiers, comme les rentes et les produits d’assurance. Alors que les tendances lourdes précédentes ciblaient un secteur donné, ce n’est plus le cas aujourd’hui, tous les secteurs étant en mesure de verser des intérêts, des dividendes ou une autre forme de revenus.

Deux questions s’imposent en présence de toute tendance en matière d’investissement : combien de temps durera-t-elle? Et quelle sera sa popularité? Cette dernière question est cruciale, car elle permet de déterminer si une tendance se transformera en engouement, puis en vogue à vaste échelle, avant de devenir une bulle proprement dite.

Par exemple, seuls les optimistes les plus endurcis n’ont pas été étonnés par l’ampleur de la bulle technologique sur le Nasdaq. Et la facilité inouïe avec laquelle le crédit était accordé (et apparemment sans limite) entre 2005 et 2008 à des personnes manifestement non qualifiées en a sidéré plus d’un.

Pour analyser une tendance et prévoir son cycle de vie avec plus de précision, il faut toutefois bien cerner sa source.

Demande La source de la demande accrue pour des investissements générant des revenus est évidente : l’évolution des données démographiques. La plus importante cohorte d’investisseurs planifie son passage à la retraite ou est déjà en voie de quitter le monde du travail. Par conséquent, ils sont plusieurs à rechercher des placements axés sur les revenus pour financer cette nouvelle étape, une prédilection qui devrait se poursuivre pendant plusieurs années. Les baby-boomers les plus jeunes, soit ceux nés autour de 1963, ont encore 15 ans de vie professionnelle devant eux, alors que les plus âgés, nés en 1947, amorcent déjà ce nouveau chapitre.

Une autre composante de cette équation est l’espérance de vie. Il y a cinquante ans, la plupart des gens ne fêtaient pas leur 90e anniversaire. Aujourd’hui, cela est devenu presque banal.

Appétit pour le risque Examinons maintenant comment de nombreuses années de volatilité cuisante ont affecté l’appétit pour le risque. Le Canada a certes pu éviter une crise du marché immobilier semblable à celle qui a sévi aux États-Unis, mais cela ne veut pas dire que les économies de retraite sous forme de biens immobiliers de plusieurs personnes n’y ont pas perdu des plumes. Les déboires des marchés boursiers américains ont également eu des répercussions sur les marchés boursiers du Canada. Les prix des logements au nord de la frontière sont à un taux record ou presque, mais en parallèle, la dette par ménage y atteint également des sommets. Pour plusieurs personnes, ces enjeux ont eu l’effet d’une douche froide en matière de prise de risque.

Ajoutez à tout cela les marchés baissiers de 2000 à 2003 et la dégringolade monstre de 2007 à 2009 qui, pour ceux qui avaient investi dans des indices boursiers américains, a sonné le retour à la case départ de 1999, et vous avez tous les ingrédients d’un scepticisme généralisé. Les investisseurs canadiens se sont peut-être mieux tirés d’affaire, mais il n’en reste pas moins que nous sommes revenus au même niveau qu’en 2005, tous les gains réalisés sur une période de deux ans ayant été réduits à néant.

L’appétit pour le risque est donc en déclin, et un regain à cet égard n’est pas prévu de sitôt. Bien que cette frilosité soit plus marquée chez les baby-boomers, qui estiment que c’est leur dernière chance de faire fructifier leurs économies, on entend le même son de cloche chez la plus jeune génération. À la lecture de leurs relevés qui font du sur-place depuis plusieurs années, bon nombre de jeunes investisseurs se demandent en effet pourquoi ils devraient endurer de telles montagnes russes si le résultat s’avère aussi décevant!

Une question se pose donc : l’inquiétude et l’aversion pour le risque peuvent-elles engendrer une bulle d’investissement? Si les investisseurs se ruent sur les placements générant des revenus parce qu’ils en ont assez de voir leurs placements fluctuer de manière extrême et qu’ils préfèrent recevoir des revenus réguliers malgré un effet défavorable sur la plus-value potentielle de leurs actifs, cela peut-il se transformer en pure cupidité? N’oublions pas que les derniers facteurs de toute bulle sont la cupidité et la peur de passer à côté de quelque chose.

La vogue des produits générateurs de revenus aurait donc le potentiel de se transformer en bulle.

Même si les investisseurs ont l’impression de prendre moins de risques en privilégiant les revenus au détriment des gains en capital, ils n’ont pas toujours raison. Les obligations d’État et les débentures de sociétés ayant une cote de solvabilité élevée ont toujours été l’apanage des investisseurs prudents à la recherche de revenus. Toutefois, le rendement de ces produits a chuté à un niveau tellement bas que plusieurs choisissent (ou sont forcés, ce qui est encore pire) de s’exposer à des risques accrus en se tournant vers des émetteurs moins solvables ou en achetant des titres d’une durée beaucoup plus longue.

Nous constatons que les investisseurs commencent à s’intéresser aux obligations plus risquées afin d’obtenir les rendements qu’ils recherchent, un comportement qui s’applique également aux dividendes. Bien que les actions ne reçoivent pas de cotes de crédit implicites de la part des principales agences de notation, l’effet est semblable à celui qui influe sur le marché obligataire. Cette situation, qui dure depuis un certain temps, n’est pas toujours dangereuse. Les activités d’investissement à plus haut risque visent souvent à « normaliser » le degré de risque que les investisseurs sont habituellement prêts à assumer.

La débandade boursière de 2008 et 2009 a poussé l’aversion pour le risque des investisseurs à son zénith, ce qui explique pourquoi plusieurs se sont réfugiés dans les placements prudents à faible rendement. Toutefois, les craintes s’atténuent progressivement, et on note une reprise soutenue des placements plus risqués. À long terme, ce comportement pourrait inciter les investisseurs à assumer de trop gros risques. N’oublions pas que, s’il est mal construit, un portefeuille axé sur le revenu peut être aussi risqué qu’un portefeuille axé sur la croissance.

Sociétés Penchons-nous maintenant sur les sociétés qui mobilisent des capitaux sur les marchés en émettant des actions ordinaires, des obligations et des actions privilégiées. En raison de la forte demande, l’émission de titres générateurs de revenus est devenue une forme de financement relativement abordable pour les sociétés.

Elles sont donc nombreuses à verser des dividendes plus élevés que ce que justifient leurs conditions commerciales, ou à émettre trop de titres de créance en raison du faible coût associé. Même si on n’observe pas une telle multiplication des titres de créance, une tendance se dessine en ce qui a trait aux dividendes exagérément élevés. À titre d’exemple, le rendement des actions du TSX est plus élevé aujourd’hui qu’en 2005, en dépit du fait que le niveau global des taux d’intérêt est beaucoup plus faible. Au Canada, le taux préférentiel a oscillé entre 4,25 % et 5 % en 2005; il n’est que de 3 % aujourd’hui.

Bien que le coût du capital des sociétés s’en trouve ainsi réduit, une telle surenchère effrite également le coussin de sécurité que représentent les bénéfices non répartis. Les entreprises sont ainsi en plus mauvaise posture en cas d’éventuelles difficultés. L’évolution entre aujourd’hui et il y a 10 ans du ratio dividendes/bénéfice moyen des sociétés du TSX illustre clairement cet enjeu.

Aux prises avec un climat d’affaires plus exigeant, plusieurs sociétés choisissent d’émettre davantage d’actions au lieu de réduire leurs dividendes, et ce, pour éviter de déplaire aux investisseurs.

Produits hybrides axés sur le revenu

Les produits hybrides axés sur le revenu sont des valeurs mobilières semblables aux produits structurés, aux billets et aux fonds de placement à capital fixe, qui se sont multipliées à vive allure au cours des deux ou trois dernières années.

Lorsque les ingénieurs financiers perçoivent une demande, ils ne perdent pas de temps pour créer des produits qui puissent y répondre. Cela dit, même si ces nouveaux produits sont souvent des solutions intéressantes pour les investisseurs à la recherche de revenus, ils peuvent également constituer un piège en les incitant à acquérir des placements non recommandés. La diligence est donc de mise pour les conseillers qui veulent bien épauler leurs clients. Ces valeurs mobilières doivent faire l’objet d’une analyse qui va au-delà de la traditionnelle évaluation des conditions d’affaires et des capacités de la direction, typiquement associée aux actions et aux obligations. Structure, liquidité, contreparties des dérivés et frais sont tous des facteurs importants que l’on ne peut ignorer.

Gains en capital

Pour terminer, abordons la question des gains en capital. Si l’engouement pour les titres générateurs de revenus (plus particulièrement les actions versant des dividendes) se poursuit, le cours de ces titres continuera d’augmenter. Même les investisseurs affichant une forte tolérance au risque et qui n’ont pas les revenus dans leur ligne de mire peuvent considérer que ce véhicule est un moyen de générer des gains en capital. On note déjà depuis plus d’un an que les secteurs des titres générateurs de revenus et les secteurs prudents du TSX ont dépassé le rendement des secteurs cycliques et à risque.

En général, une vague de popularité de cette nature commence modestement, ce qui est peut-être déjà le cas des secteurs les mieux cotés et à plus faible rendement du marché. Bon nombre d’investisseurs se portant acquéreurs d’obligations gouvernementales choisissent cette avenue pour générer des gains plutôt qu’un rendement. Par conséquent, il est difficile de déterminer si un secteur est devenu trop « chaud » et dominant.

Même si le germe d’une bulle a été semé, rien ne garantit que celle-ci arrivera à maturité. Pour prévenir la formation de toute bulle éventuelle, les conseillers doivent faire preuve de prudence.

L’univers des placements générant des revenus est si vaste que les investisseurs devraient être en mesure de satisfaire leurs besoins sans prendre de risques excessifs.

Ils auront toutefois du mal à s’y prendre seuls en raison de la multitude d’obligations, de fiducies de placement immobilier, d’actions privilégiées, d’actions versant des dividendes, de débentures, de fonds, de billets à capital fixe et de produits structurés qui inonde déjà le marché. Ajoutez à cela leurs taux de croissance, et la nécessité de compter sur des recherches solides et une équipe de placement chevronnée devient incontournable.

James Price est directeur de l’équipe des produits à revenu fixe de Gestion privée Macquarie à Toronto.

Cet article est paru dans le magazine Advisor’s Edge en décembre 2012.

James Price