Pour ou contre la revente de polices d’assurance vie à un tiers?

Par La rédaction | 7 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La revente de polices d’assurance vie à un tiers est-elle une pratique aussi néfaste que le disent certains assureurs? Pas nécessairement, répond le chroniqueur Daniel Germain.

Dans un billet intitulé Y a-t-il vraiment de la spéculation sur la mort au Québec?, le directeur de Les Affaires Plus s’en prend à « l’omerta qui flotte sur l’industrie des services financiers » à ce sujet.

Il commence par rappeler le principe de l’assurance vie permanente : en général, le contrat prend fin seulement « lorsque vous mourrez et que la compagnie d’assurance envoie un gros chèque à votre succession » ou « quand vous cessez de payer les primes et qu’il tombe en déchéance ». Autrement dit, « la compagnie paye quand vous mourez OU elle empoche quand vous abandonnez en cours de route », résume-t-il.

UNE ACTIVITÉ ENCORE MARGINALE AU QUÉBEC

Or, il y a plusieurs raisons de cesser d’acquitter ses primes : soit parce qu’on n’en a tout simplement plus les moyens, soit parce qu’on n’a plus toute sa tête et qu’on oublie, souligne le chroniqueur. Ou encore parce qu’on n’a plus envie de laisser de l’argent à la personne à qui était destiné ce capital-décès. Et c’est à ce moment-là que les problèmes peuvent commencer, explique Daniel Germain. Car certains profitent de ce type de situations, en particulier aux États-Unis, où « des vieux et des malades à la tonne se font arnaquer par des acheteurs sans scrupule, qui rachètent des polices pour des bouchées de pain à des personnes vulnérables qui n’en ont plus pour longtemps ». À tel point que des « États américains ont interdit la vente de polices d’assurance à un tiers, tandis que d’autres l’ont plutôt encadrée ».

Même si ce négoce demeure pour l’instant marginal au Québec, il n’en existe pas moins de ce côté-ci de la frontière, comme l’illustre le cas de Jean-Sébastien Besner, note le directeur de Les Affaires Plus. Ce « racheteur » de contrats d’assurance, qui ne possède aucun titre valide dans l’industrie financière (ce dont il n’a pas besoin pour se livrer à son commerce), est un habitué des congrès de l’industrie où il distribue sa carte de visite aux conseillers en sécurité financière. Mais si quelques-uns d’entre eux y voient « une option acceptable pour certains de leurs clients », les compagnies d’assurance, elles, n’apprécient pas cette concurrence, au point « qu’elles menacent les conseillers de couper les ponts s’ils parlent de Besner à leurs clients », soutient Daniel Germain.

Comment cela fonctionne-t-il? Le principe est on ne peut plus simple, explique le chroniqueur. Si votre client détient une police de 500 000 dollars, le « racheteur » en offrira par exemple 250 000 $ pour reprendre le contrat et payer les primes à la place de votre client. Mais, bien sûr, c’est lui qui encaissera le demi-million de dollars au décès. Une bonne affaire? « Entre tout perdre, c’est-à-dire les primes que vous avez payées pendant 25 ans, et les 250 000 dollars, le choix m’apparaît assez simple à faire », écrit le chroniqueur, qui dit ne pas comprendre l’argument des assureurs selon lequel ce commerce revient à parier sur la mort.

« Tant qu’on ne pousse pas la personne en bas du pont, je ne vois pas où est le problème. C’est la même chose avec une rente viagère. Plus le client meurt rapidement après l’achat de la rente, plus c’est payant pour celui qui lui a vendu, à savoir la compagnie d’assurance. Accuse-t-on pour autant cette dernière de spéculer sur la mort? » questionne-t-il.

« OUI À L’ENCADREMENT, NON AU BANNISSEMENT »

Daniel Germain ajoute cependant qu’« on peut comprendre les assureurs de voir ça d’un mauvais œil, puisque la déchéance des contrats fait partie de leur modèle d’affaires ».

« Les gens qui abandonnent en cours de route sont les plus payants, évidemment. Ils paient sans rien recevoir. Mais aussi, et surtout, il faut savoir que le taux de déchéance est pris en compte dans le calcul des primes de l’ensemble des assurés. Autrement dit, ceux qui lâchent en chemin subventionnent un peu ceux qui se rendent au bout », détaille-t-il, ajoutant que le système de revente des polices d’assurance « vient brouiller ces calculs ».

« Si cette activité devait se généraliser, les primes d’assurance augmenteraient pour tout le monde, ce qui rendrait les assurances permanentes moins attrayantes », ajoute-t-il.

Estimant que « l’assurance vie est un produit formidable pour répondre à certains besoins financiers » mais que le rachat des polices peut lui aussi être intéressant, le chroniqueur appelle à « un meilleur encadrement pour protéger les assurés », tout en se déclarant hostile au « bannissement total » de cette pratique.

« LES PERSONNES CONCERNÉES SONT VULNÉRABLES »

Une opinion que ne partage pas l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, qui presse le gouvernement québécois depuis plusieurs années d’interdire ce marché. Interrogée par Conseiller, la vice-présidente adjointe aux affaires publiques et gouvernementales (Québec) de l’ACCAP se dit même « étonnée » de la position de Daniel Germain, estimant que « les conseillers devraient être les premiers à soutenir une telle interdiction, car le rachat de polices d’assurance vie à des fins spéculatives peut avoir des conséquences importantes pour leurs clients ».

Suzie Pellerin rappelle que seules quatre provinces au pays n’interdisent pas formellement le rachat de police par des tiers en vue de réaliser un profit, soit le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan, qui a d’ailleurs annoncé son intention de bannir prochainement ce genre d’activité. « À moins d’intervenir rapidement, le Québec deviendra la province du commerce du rachat de polices par des tiers à des fins commerciales ou spéculatives », met-elle en garde.

Dans une fiche de synthèse utilisée lors de ses discussions avec les parlementaires, l’ACCAP affirme qu’« il existe actuellement un marché émergent au Québec qui soulève des inquiétudes », ce qui justifierait un encadrement de ce commerce.

Dans plusieurs cas, l’assuré cédant sa police n’est pas bien informé des conséquences de sa décision, qui est « trop souvent prise dans un contexte de vulnérabilité », dénonce l’association. De plus, « [les] produits sont utilisés à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont été conçus, ce qui vient fausser les projections financières et [affecter] le capital de l’assureur ». Enfin, cette pratique est risquée pour plusieurs raisons, notamment parce que le rachat de polices vise avant tout des consommateurs vulnérables, « comme les personnes malades, âgées ou ayant un urgent besoin d’argent ». Ou encore parce que ce genre de transactions peut « faciliter le blanchiment d’argent, puisque l’assureur [n’est] plus en mesure de vérifier qui paie la prime, échappant ainsi aux mesures mises en place » pour limiter ce phénomène.

Tout cela sans compter que certains conseillers risquent eux aussi d’avoir un jour des problèmes, « car leur assurance “Erreurs et omissions” pourrait contenir des exclusions dans les situations de rachat de polices ». Conclusion de l’ACCAP : pour des raisons « à la fois éthiques et économiques », il importe donc d’« interdire ce genre de transaction impliquant des promoteurs non réglementés, et dont le seul objectif est de spéculer sur la vie d’autrui, afin de protéger les consommateurs vulnérables ».

QUÉBEC SE PENCHERA SUR LE DOSSIER

Le gouvernement provincial semble avoir entendu ce message. Dans le budget qu’il a déposé en mars dernier, il annonce sa volonté de se pencher sur certains problèmes, dont la question du rachat des polices d’assurance vie, « afin de donner suite aux demandes de l’industrie » (page B.230). Interrogée par Conseiller, Audrey Cloutier, attachée de presse au cabinet du ministre des Finances Carlos Leitão, n’a cependant pas souhaité en dire davantage. Québec « prendra le temps de procéder à une analyse complète du dossier. L’amélioration de l’encadrement réglementaire du secteur de l’assurance visera toujours à offrir un encadrement sécuritaire axé sur la protection du consommateur », a-t-elle simplement répondu.

La rédaction