Quand une image vaut mille maux

Par Jean-François Parent | 8 avril 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
Photo : 123RF

Depuis les Norbourg, Earl Jones et autres Carole Morinville, l’industrie des services financiers travaille fort pour regagner la confiance du public. Pourtant, son image semble toujours entachée, comme l’illustrent de récentes publicités de Canac faites à ses dépens.

Au bout du fil, le ton de Gino-Sébastian Savard est sec, exaspéré. « C’est abominable de faire des publicités pour ridiculiser les professionnels en services financiers quand on sait que leurs conseils changent la vie des gens pour le mieux. »

Le président de MICA Cabinets de services financiers est ulcéré par la campagne de Canac. Deux publicités télévisées incitent les consommateurs à laisser tomber leur conseiller pour courir chez le quincaillier, dont les bas prix les aideront à financer leurs projets de rénovation à moindre coût que le conseil financier.

L’un des cabinets fictifs de la réclame s’appelle Financière STD, l’acronyme décrivant les infections transmises sexuellement (ITS) en anglais. En réaction, l’industrie est montée aux barricades la semaine dernière.

La question se pose donc : depuis les scandales qui l’ont éclaboussée, la profession a-t-elle réussi à redorer son blason? Gino-Sébastian Savard assure que oui.

Il est bien placé pour le savoir, MICA étant une victime collatérale du scandale Norbourg. Les fonds Diamant de la famille Savard ont dû être liquidés en 2006, les investisseurs étant trop échaudés par l’arrestation de Vincent Lacroix pour faire confiance aux petits gestionnaires indépendants.

« Depuis 26 ans que je suis dans la profession, ça n’arrête pas de s’améliorer. L’image que les jeunes en ont est meilleure que jamais, ils veulent devenir conseillers », poursuit-il, citant l’augmentation de l’encadrement et de la professionnalisation des conseillers comme vecteurs d’une meilleure réputation.

Et pourtant.

« Si des publicitaires ont jugé qu’une telle campagne était un bon filon, ça signale que la perception ne s’est pas tant améliorée », constate Jacques St-Amant, analyste à la Coalition des associations de consommateurs du Québec et spécialiste de la consommation financière.

Et cette perception est fonction d’enjeux structurels, propres à l’industrie, croit-il. « Les produits sont de plus en plus complexes, ce qui suscite la méfiance. Et les gens comprennent qu’il y a des défis quant à la rémunération, comme la divulgation des commissions, et les débats sur l’abolition des commissions de suivi. Ça les préoccupe d’autant que l’on sait que certains cabinets sont soumis à des contraintes de production de volume sur les ventes. Ça n’aide en rien [à mettre de l’avant] l’image » d’un professionnel rigoureux et compétent, poursuit Jacques St-Amant.

Il dit constater un dialogue de sourds entre l’industrie et les conseillers, alors que ces derniers voudraient bien relever leur jeu – et inspirer davantage confiance aux clients –, tandis que les grandes institutions semblent favoriser une présence moins importante des professionnels par l’entremise de la vente en ligne, remarque-t-il. Cela se fait au détriment de l’image du conseiller projetée dans le grand public, qui risque de voir ces derniers comme des vendeurs plutôt que comme des conseillers.

« Dans ce contexte, le message que la Chambre de la sécurité financière [CSF] et la Chambre de l’assurance de dommages tentent d’envoyer, celui de l’indépendance et de la rigueur, semble ne pas passer. »

À la CSF, on insiste : la protection du public exige que « la réalité des faits l’emporte sur les préjugés négatifs et désuets à l’endroit des conseillers », explique sa porte-parole Priscilla Franken.

La formation est « solide », l’encadrement, « rigoureux » et la surveillance, sans relâche, dit-elle en substance. En outre, « les conseillers servent prioritairement l’intérêt de leurs clients », martèle-t-elle.

LES CHOSES S’AMÉLIORENT

Si la mauvaise image de l’industrie persiste, la confiance envers les conseillers, elle, semble être en hausse.

« C’est certain qu’il y a une méfiance envers les conseillers et les gens ne gênent pas pour demander s’ils vont se faire avoir », observe Fabien Major, planificateur financier au cabinet Major Gestion privée.

Mais ce sont des questions que l’on pose moins souvent, preuve que les choses s’améliorent, dit-il, notant que le public investisseur reconnaît davantage l’importance de recourir aux services d’un professionnel. « Il y a certainement eu des gains en matière de conseil, on parle davantage de patrimoine », et les gens comprennent mieux le besoin pour un conseil financier servant à gérer l’ensemble de leurs actifs, plutôt qu’à leur vendre des produits à tout prix.

« Les taux de satisfaction envers les conseillers sont quand même très élevés dans les institutions financières : 7,5 sur 10 et plus », relate Jasmin Bergeron, spécialiste du marketing financier et professeur à l’ESG UQAM.

Le conférencier est régulièrement invité par l’industrie pour mesurer la relation entre les clients des institutions et leur conseiller. « On le voit d’un mois à l’autre, dès que les conseillers misent sur l’aspect relationnel, le taux net de rétention (TNR) bondit de 15 à 20 % », poursuit l’universitaire.

Cette variable TNR, une mesure courante utilisée dans les industries de services pour identifier les façons de fidéliser les clients, passe ainsi de 7 à plus de 9 sur 10 dans les semaines suivant les formations sur l’aspect humain du conseil, selon lui.

UNE IMAGE EN CONSTRUCTION

Une relation causale que semble confirmer l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), qui mesure depuis 2008 le taux de satisfaction des clients à l’égard de leur représentant en épargne collective. Ce taux dépasse largement les 80 % de clients satisfaits, année après année, et ce, depuis 2008, explique Paul Bourque, PDG de l’IFIC.

« On le sait, le taux d’épargne est supérieur pour les clients qui ont accès aux conseils, et cela se traduit notamment par une grande satisfaction envers les conseillers », explique-t-il à Conseiller.

Depuis 2008, le sondage annuel de l’IFIC recense des taux totalisant de 78 à 86 % de clients « satisfaits » et « très satisfaits », peut-on lire dans la dernière étude Pollara commandée par l’IFIC pour l’année 2018. Chaque année, le sondeur interroge quelque 1 000 personnes, dont environ le quart est constitué de Québécois détenant des fonds communs auprès de courtiers locaux.

L’IFIC conclut ainsi que, loin de fluctuer, l’image des conseillers auprès des clients est plutôt stable à travers le temps.

Jasmin Bergeron met cependant un bémol : « Il y a encore un paquet de conseillers qui tentent de concurrencer sur le prix plutôt que l’aspect humain. Alors oui, certains d’entre eux ont redoré leur blason en améliorant le côté relationnel. Mais pour la profession dans son ensemble, je ne suis pas certain qu’on puisse faire le même constat », commente Jasmin Bergeron.

Fabien Major abonde dans le même sens. « Les entreprises qui misent sur les chiffres de vente font du tort à l’image de la profession. Les clients ne veulent plus se faire vendre des  »patentes ». »

« Faire comprendre sa valeur au client est une mission sans fin », ajoute Gino-Sébastian Savard. Selon lui, les conseillers n’auront jamais droit à l’estime que le public réserve aux pompiers, par exemple.

« Mais nous étions dans la cave et nous sommes remontés, à grands pas, et ce n’est pas grâce au marketing. C’est une industrie qui s’est prise en main, qui s’est donné une éthique, de la conformité, et qui est plus professionnelle que jamais. »

Ce dont le public bénéficie, conclut-il.

Jean-François Parent