Le règlement contraignant des litiges : une pilule amère

Par James Langton | 18 mars 2024 | Dernière mise à jour le 15 mars 2024
6 minutes de lecture
A collection of colourful pills

La proposition des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) d’introduire un système de résolution des litiges contraignant dans le secteur de l’investissement fait l’objet d’une lutte acharnée entre les défenseurs des investisseurs et les représentants de l’industrie.

En novembre, les ACVM ont proposé de remanier le processus de résolution des plaintes des clients traitées par l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement (OSBI), organisme indépendant à but non lucratif.

La proposition vise essentiellement à remplacer les pouvoirs de l’OSBI, qui consiste à « nommer et faire honte » (name and shame), par le pouvoir d’émettre des décisions contraignantes.

Les défenseurs des investisseurs critiquent depuis longtemps l’incapacité de l’OSBI à faire appliquer ses décisions, ce qui a conduit plusieurs entreprises à ignorer les recommandations d’indemnisation des investisseurs. Le statu quo a également contribué à ce que les investisseurs acceptent des règlements dérisoires.

Cette critique a été appuyée par plusieurs études indépendantes de l’OSBI, qui ont également réclamé une autorité contraignante.

Les ACVM tiennent enfin compte de ces appels. « Rendre les recommandations de l’OSBI contraignantes pourrait améliorer la protection des investisseurs et favoriser une plus grande équité pour les clients de détail », souligne la proposition des ACVM, ajoutant que les entreprises bénéficieraient d’un processus de résolution des litiges plus concluant et donc plus efficace.

LE SECTEUR DE L’INVESTISSEMENT RÉAGIT VIGOUREUSEMENT

L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM), dans sa contribution à la consultation des ACVM qui s’est achevée le 28 février, s’est dite favorable à une résolution des litiges équitable, accessible et rentable. Toutefois, l’ACCVM estime que la proposition des ACVM manque sa cible.

Les ACVM ont invoqué le fait que des entreprises ont refusé les recommandations de l’OSBI et que des investisseurs ont accepté des règlements dérisoires pour justifier l’introduction d’une autorité contraignante, mais « il n’y a pas eu suffisamment de consultations, d’analyses et de recherches sérieuses pour comprendre les causes profondes de ces refus », affirme le mémoire de l’ACCVM.

L’ACCVM rapporte également que le nombre d’investisseurs qui règlent leurs différends pour des montants inférieurs à ceux recommandés par l’OSBI est « faible et isolé », et se demande si les refus et les règlements dérisoires ont réellement érodé la confiance des investisseurs dans l’OSBI ou découragé les investisseurs de déposer des plaintes.

Le groupe professionnel reconnaît que le système actuel de résolution des litiges doit être réformé, mais il préconise d’élargir les possibilités de résolution des plaintes des investisseurs.

« Les investisseurs devraient pouvoir se prévaloir des nombreux autres services de médiation de haute qualité qui sont largement disponibles », estime l’ACCVM, suggérant que les entreprises devraient pouvoir offrir la médiation plutôt que d’être obligées d’utiliser l’OSBI, et que l’OSBI devrait être tenue d’offrir la médiation.

L’ACCVM pense également que si un processus de prise de décisions contraignantes en matière d’indemnisation est adopté, il ne devrait pas faire appel à l’OSBI, mais plutôt au système d’arbitrage de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) si le litige concerne une société de l’OCRI, ou à un tribunal des ACVM pour les sociétés qui ne font pas partie de l’OCRI.

L’Association des gestionnaires de portefeuille du Canada (PMAC), le groupe professionnel des courtiers sur le marché dispensé, s’oppose également fermement à la proposition des ACVM, allant même jusqu’à créer un site Web documentant ses préoccupations et fournissant à ses membres une lettre type à soumettre à la consultation des ACVM.

La lettre souligne les coûts supplémentaires potentiels de l’autorité contraignante et le manque d’« équité procédurale » de la procédure proposée.

Des examens indépendants des services de l’OSBI ont rejeté à plusieurs reprises les allégations selon lesquelles sa procédure est injuste pour le secteur, mais cela n’a pas calmé les critiques de longue date.

Le fait que l’OSBI rejette régulièrement la plupart des plaintes des investisseurs (seulement 29,6 % des dossiers d’investissement clos avec une recommandation d’indemnisation au cours de l’exercice 2023), que la plupart de ses recommandations d’indemnisation sont modestes (en 2023, la recommandation moyenne pour les plaintes d’investissement était de 10 199 $, et la médiane de 2 115 $), et que l’indemnisation totale versée en raison des décisions de l’OSBI chaque année ne représente qu’une fraction des revenus de l’industrie, n’a pas non plus calmé les critiques.

Néanmoins, le fait que le modèle proposé par les ACVM exclut un mécanisme d’appel a soulevé des inquiétudes quant à l’équité, même parmi les entreprises qui soutiennent la réforme.

Par exemple, le géant des fonds Fidelity Investments Canada est favorable à l’octroi à l’OSBI d’un pouvoir contraignant, mais a tout de même des réserves.

« Les investisseurs seront mieux servis si l’OSBI se voit accorder le pouvoir de prendre des décisions exécutoires à l’encontre des sociétés qui ont porté préjudice aux investisseurs de détail, assure ainsi Fidelity dans son mémoire. Nous considérons ce changement comme une amélioration significative de la capacité des investisseurs lésés à obtenir réparation. »

Pourtant, Fidelity a déclaré qu’un mécanisme d’appel est « un élément central de l’équité procédurale qui devrait être présent dans un régime contraignant » et qu’il ajouterait une sauvegarde importante et contribuerait à inspirer la confiance dans le système. L’entreprise a recommandé que le cadre comprenne le droit de faire appel des décisions de l’OSBI devant les tribunaux des régulateurs.

Toutefois, les partisans d’une autorité contraignante estiment qu’un mécanisme d’appel favoriserait indûment les entreprises qui disposent de beaucoup plus de ressources financières et humaines pour faire appel que l’investisseur de détail ordinaire.

« Un mécanisme d’appel n’est pas souhaitable, car il réintroduirait un déséquilibre de pouvoir entre les plaignants et les entreprises, ce qui irait à l’encontre de l’objectif fondamental du cadre proposé », a martelé le groupe consultatif d’investisseurs indépendant des ACVM dans ses observations.

D’autres contributions ont proposé des alternatives à l’autorité contraignante. Worldsource Financial Management a suggéré qu’au lieu d’abandonner l’approche « name and shame », les ACVM devraient la doubler.

Worldsource a suggéré que ce pouvoir soit élargi afin de dénoncer les sociétés qui font baisser la valeur des compensations remises aux investisseurs — et que cette honte soit amplifiée par une plus grande publicité.

« Le risque accru de réputation associé au non-respect des recommandations de l’OSBI augmenterait le respect des règles », a avancé Worldsource.

En outre, les ACVM devraient envisager de ne prendre des mesures réglementaires qu’à l’encontre des entreprises qui, à plusieurs reprises, ne suivent pas les recommandations de l’OSBI, estime Worldsource.

Pour les défenseurs des investisseurs, cependant, l’autorité contraignante de l’OSBI est attendue depuis longtemps.

« Nous ne saurions trop insister sur l’importance de cette proposition, a appuyé une coalition de défenseurs des consommateurs et des investisseurs, dirigée par FAIR Canada, dans un mémoire commun. Des experts indépendants des systèmes de traitement des plaintes nous ont dit à maintes reprises que l’absence de recommandations contraignantes nuit aux Canadiens et qu’elle est insuffisante par rapport à d’autres pays dotés d’un solide régime de protection des investisseurs. »

L’autorité contraignante permettra non seulement d’éliminer les refus et de décourager les règlements à l’amiable, mais aussi d’encourager les entreprises à résoudre les plaintes de manière équitable avant qu’elles ne parviennent à l’OSBI, a suggéré la coalition.

« Toutefois, si ce n’est pas le cas, l’autorité contraignante garantira des conditions de concurrence plus équitables pour les investisseurs, qui pourront compter sur un processus équitable, et pour les entreprises concernées, qui devront respecter les décisions de l’OSBI », a déclaré la coalition.

La coalition s’oppose également à l’idée d’inclure un mécanisme d’appel dans le cadre des réformes proposées, car elle craint que cela ne rétablisse les avantages inhérents des entreprises du secteur dans les litiges avec les clients de détail.

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James Langton

James Langton est journaliste pour Advisor.ca et Investment Executive. Depuis 1994, il fait des reportages sur la réglementation, le droit des valeurs mobilières, l’actualité de l’industrie et plus encore.