L’investissement socialement responsable peut-il réduire la criminalité économique?

Par Denis Méthot | 18 septembre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Julie Bernard, analyste au Groupe d’investissement responsable Canada.

Une drôle d’idée ? Pas tant que ça…

L’investissement socialement responsable (ISR) pourrait-il avoir pour effet de réduire la criminalité économique dans les milieux de la finance? Cette intéressante question a fait l’objet d’une table ronde lors du forum sur la criminalité économique.

Les participants à la discussion étaient Sébastien Bérard, conseiller à la Financière Banque Nationale, Julie Bernard, analyste au Groupe d’investissement responsable Canada (GIR) et Me Jean-Simon Deschênes, avocat en droit des affaires.

Importance de l’ISR

Selon un portrait réalisé plus tôt cette année par l’Observatoire ESG UQÀM de la consommation responsable, partout dans le monde, la part de l’épargne consacrée à l’ISR n’a cessé de progresser. Au Canada, les actifs ISR ont été multipliés par 11 depuis 2002 et ont atteint en 2012 plus de 600 milliards de dollars. Ce montant représente environ 20 % des actifs sous gestion dans l’industrie financière.

Un bel exemple de leur popularité se trouve chez Desjardins, où les fonds communs de placements «responsables» pour les particuliers représentaient 1,3 milliard de dollars d’actifs sous gestion, soit 7,2% des actifs totaux des Fonds Desjardins en décembre 2013[1].

Historiquement, au Canada, l’ISR s’est développé dans le marché des particuliers. Depuis quelques années, la croissance de l’ISR est principalement soutenue par les investisseurs institutionnels.

L’éthique au premier plan

S’il est tant question d’éthique dans les services financiers, c’est en réaction à des abus, des fraudes et des dérives passées qui ont fait perdre des centaines de millions de dollars aux petits investisseurs.

Julie Bernard croit que des entreprises ont perdu leur esprit de bon père de famille et déplore le fait que la valeur des compagnies se détermine uniquement par le profit, réalisé à n’importe quel prix.

«On sent moins la justice dans les grandes entreprises, déplore-t-elle. Elles se croient au-dessus du droit. Le rendement se fait aux dépens des lois. Il y a un problème à placer son argent sans même savoir dans quoi on investit. Les entreprises sont devenues des mégamonstres. En tant que citoyen et actionnaire, on ne joue pas pleinement notre rôle.»

Un point de vue partiellement partagé par l’avocat Jean-Simon Deschênes.

«Personne n’est contre la vertu, souligne-t-il. Je vois dans l’éthique la conséquence d’une criminalité croissante qui se complexifie.»

« Éviter certaines compagnies »

Les règles d’éthique et les nouvelles réglementations ne suffiront pas à enrayer les crimes économiques, conviennent les experts, car il y a aura toujours des gens qui seront grassement payés pour trouver de nouvelles façons de les contourner.

L’investissement socialement responsable y parviendra-t-il ?

«Ça peut avoir un lien direct si on encourage l’ISR à éviter certaines compagnies qui ont connu des problèmes de criminalité, croit Sébastien Bérard, de la Financière Banque Nationale. Si le titre fond comme neige au soleil, des investisseurs qui visent uniquement le profit vont se retirer parce que ces entreprises vont rapporter moins.»

«L’ISR peut aider, mais ça ne réglera pas tout, estime pour sa part Me Deschênes. Si on n’investit pas dans une entreprise qui a un comportement criminel, l’impact pourra être réel. Si la population est aux aguets et évite certains types d’investissements, les entreprises n’auront pas le choix de devenir plus éthiques. Collectivement, on va renforcer positivement les comportements qui sont adéquats.»

«Par contre, ajoute-t-il, si on regarde plus le crime économique comme la fraude, la contrefaçon des états financiers, je ne suis pas convaincu que cela aura un impact direct. On ne peut pas être contre la vertu, mais je crois qu’il y aura toujours de la criminalité.»

Faire la différence

«Oui, je crois que ça peut faire une différence, pense de son côté Julie Bernard. Évidemment, l’ISR tente d’éviter les entreprises dont les pratiques minimisent la criminalité économique. Changer constamment les lois ne représente pas nécessairement la meilleure approche, mais ne rien faire n’est pas la meilleure avenue. Le contexte législatif est trop lourd face aux marchés financiers qui évoluent beaucoup trop vite pour légiférer à la sortie de chaque nouveau produit. L’ISR peut faire la différence.»

«Le gros problème, déplore-t-elle, c’est que l’investisseur socialement responsable représente seulement 20 % des investissements. Il reste 80 % qui n’est pas investi dans cette ligne de pensée.»

L’un des organisateurs du forum, le professeur Yvan Tchotourian, pense lui aussi que l’ISR pourra réduire la criminalité économique, mais que ça ne s’applique qu’à une partie du marché, soit les entreprises qui se font prendre. Réorienter les investisseurs ailleurs que dans ce type d’entreprise peut-être intéressant, estime-t-il. Toutefois, peu ont été pénalisées. Néanmoins, il pense que l’investissement éthique peut être une réponse possible à la criminalité économique.


[1] Source : Les Québécois et l’investissement socialement responsable, portrait 2014, Observatoire de la consommation responsable.

La criminalité économique en 5 questions :

Des conséquences quantifiables ? Quels outils de lutte ? Quel est le profil type du fraudeur économique ? L’investissement socialement responsable peut-il réduire la criminalité économique? Que fait le CANAFE ?

Denis Méthot