Assurance en ligne : des zones d’ombre subsistent

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 10 janvier 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123rf

Quatre mois seulement après l’adoption de la loi 141, autorisant la distribution d’assurance en ligne sans représentant, l’Autorité des marchés financiers (AMF) soumettait son projet de règlement en la matière le 10 octobre dernier. Une proposition qui ne fait pas l’unanimité.

« Notre défi est d’accomplir notre mission de protection du consommateur tout en ne constituant pas un frein au développement de l’industrie et à l’innovation », a tenu à rappeler Mylène Sabourin, directrice des pratiques de distribution et des OAR à l’AMF, en ouverture de la séance d’information sur le projet de règlement organisée à Québec le 17 octobre dernier.

« Certains vont trouver que nous sommes parfois trop exigeants, d’autres, que nous ne le sommes pas assez, ajoutait-elle, mais nous sommes convaincus d’avoir trouvé un bel équilibre entre les deux missions qui sont les nôtres. »

Environ 200 personnes ont suivi cette présentation sur le web et une centaine d’autres s’étaient rendus sur place. Parmi elles, Suzie Pellerin, vice-présidente adjointe, Affaires publiques et gouvernementales pour le Québec à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

En entrevue avec Conseiller, elle indique que la plupart des questions ont tourné autour de quatre thèmes : l’exigence faite aux cabinets qui veulent offrir de l’assurance sans l’entremise d’une personne physique de créer une plateforme de vente en ligne et les multiples informations qui devront s’y trouver en tout temps, l’annulation des polices contractées sur le web, les modalités d’évaluation que mettra en place l’AMF, ainsi que le fait qu’aucun type d’assurance, même les plus complexes, ne soit exclu de la vente sans représentant.

PERSPECTIVES D’AVENIR

Une non-limitation avec laquelle l’ACCAP se dit à l’aise. Selon Mme Pellerin, qui précise que l’Association ne prendra pas de position officielle tant qu’elle n’aura pas terminé de consulter tous ses membres, il aurait été difficile d’exclure nommément tel ou tel produit puisque que le règlement doit s’inscrire dans une perspective d’avenir. Pour cela, il se doit d’être souple.

« Avant d’aller en ligne, le cabinet va déposer un dossier à l’AMF et fournir nombre d’informations, dont le type de produits proposés, indique-t-elle. Il doit ensuite annuellement lui rapporter toutes les activités de la plateforme, ce qui permet d’avoir un certain contrôle et de rectifier le tir en cas de manquement. Et puis, il y aussi des lignes directrices sur le traitement équitable du consommateur, qui obligent les cabinets à adopter des pratiques commerciales saines et prudentes. On voit bien que sans nommer les produits, l’Autorité a le pouvoir d’orienter les pratiques. »

« Le marché va créer la restriction par lui-même, croit pour sa part Ian Sénéchal, président de VotreConseiller.net. Peu de clients vont être intéressés à se procurer des produits complexes sans parler à personne. Il n’y aura pas de demande pour ça, alors je ne crois pas que les assureurs seront très entreprenants. »

Aujourd’hui déjà, lorsque les assureurs implantent des processus de formulaires en ligne à l’usage des conseillers, ils le font d’abord et surtout pour les produits les plus simples qui, dans la plupart des cas, ne requièrent pas de preuves d’assurabilité, ajoute M. Sénéchal.

Cette question de la limitation des produits demeure au cœur des débats autour du projet de règlement et force est de constater qu’à ce sujet, l’optimisme d’Ian Sénéchal n’est pas partagé par tous.

« Peut-être que les assureurs sérieux ne vont pas se lancer là-dedans au départ, commente Jacques St-Amant, analyste à la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ). Mais ce n’est pas vrai que tous les fournisseurs vont se comporter idéalement. Et si l’un se lance, les autres vont indéniablement suivre. »

M. St-Amant croit cependant que l’Autorité est tributaire d’une loi qui comporte de nombreuses lacunes. Il explique par exemple que l’AMF ne peut décider de faire de distinctions entre les disciplines puisqu’il est inscrit dans la loi que l’encadrement d’une assurance voyage comme d’une assurance vie la plus complexe doit être le même.

AU MOINS UN REPRÉSENTANT INSCRIT

Le président de MICA Cabinets de services financiers, Gino Savard, croit lui aussi que l’AMF doit composer avec une loi 141 qu’il n’hésite pas à qualifier de « mauvaise ». Il estime que son projet de règlement n’est qu’un premier jet et espère que l’Autorité tiendra compte des remarques faites dans les mémoires déposés en consultation.

« La loi est pleine de trous et c’est donc à la réglementation de donner le ton, estime-t-il. L’Autorité indique que les cabinets qui vendront en ligne devront être inscrits, ce qui signifie qu’ils devront avoir au moins un représentant inscrit. C’est un début et ça prouve que le régulateur se pose les bonnes questions. Mais est-ce assez tel quel? Je crois que non. »

Selon lui, une question demeure : comment protège-t-on un consommateur contre lui-même? Comment fait-on en sorte qu’il ne se retrouve pas sous-assuré ou inadéquatement assuré? Et qu’il ne s’en rende compte qu’au moment où il veut effectuer une réclamation…

« Pour cela, je persiste et signe, poursuit-il. Il devrait toujours y avoir un conseiller qui valide avec le client. »

Ce n’est pas ce que prévoit le texte du projet de règlement. Celui-ci exige qu’une multitude d’informations soit visible en tout temps sur la plateforme, dont les différentes façons de formuler une plainte et le moyen de solliciter l’intervention d’un représentant du cabinet, sans que celui-ci ne soit forcément disponible 24 heures sur 24.

L’Autorité ne recommande pas d’exiger la disponibilité des représentants en tout temps, mais pour le consommateur qui aurait conclu une transaction en dehors des heures de travail, elle propose que les cabinets prennent des mesures d’atténuation des risques qui en découlent. Ceux-ci devront notamment informer le client de la disponibilité de leurs représentants et lui indiquer la manière de procéder lorsqu’aucun n’est disponible.

« L’Autorité précise que le ou les représentants rattachés au cabinet devront agir en temps utile auprès des clients qui en expriment le besoin, rappelle Jacques St-Amant. C’est bien. Mais c’est loin d’être assez précis. Quel rôle ce représentant devra-t-il jouer exactement? Ne fera-t-il que répondre à la question posée ou, s’il décèle un problème sous-jacent, devra-t-il en faire part au client? »

LES MÊMES OBLIGATIONS QU’UN REPRÉSENTANT

À cela, l’Autorité a répondu à Québec que ce serait forcément à évaluer au cas par cas et qu’au bout du compte, le cabinet qui offrira des produits d’assurance par Internet aura les mêmes obligations qu’un représentant. Il devra donc s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins et, le cas échéant, s’assurer que le produit qu’il lui offre lui convient. S’assurer de la fiabilité des renseignements fournis par le client pour satisfaire cette obligation demeure sous sa seule responsabilité.

Une disposition qui fait dire au président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), Flavio Vani, que les plaintes vont littéralement exploser dans les prochaines années. Ce fervent opposant à la vente en ligne croit en effet que le Fonds d’indemnisation des services financiers va voir le nombre de réclamations augmenter et il se questionne ainsi sur le financement de ce fonds.

« Aujourd’hui, il est financé par la certification, rappelle-t-il. Tous les représentants certifiés cotisent à ce fonds. Si les cabinets de vente en ligne peuvent tout à fait n’avoir qu’un seul représentant inscrit, sa participation au fonds sera inférieure à celle d’un cabinet ayant pignon sur rue et qui a, dans bien des cas, plusieurs employés détenant des permis. Or, je parie que c’est d’Internet que la plupart des demandes d’indemnisation viendront. »

Gino Savard entrevoit quant à lui une autre forme d’injustice. Ses deux adjointes, pourtant très au fait des détails concernant les produits et des services financiers, ne peuvent en aucun cas répondre aux questions des clients, quelles qu’elles soient. Il se demande ce qu’il en sera dans le cadre de la vente en ligne.

« Y aura-t-il deux poids, deux mesures ? questionne-t-il. Car comment savoir qui répond réellement aux questions des clients lorsque l’on passe par une plateforme? »

De son côté, l’ACCAP estime que si l’accès en tout temps à une personne certifiée est fortement recommandable dans le cas de l’achat d’une police individuelle, cela n’est pas la même chose dans le cas des régimes collectifs. Suzie Pellerin note que les adhérents bénéficient alors d’une protection offerte et choisie par le preneur de régime (généralement l’employeur), qui est une entité avertie. Celle-ci a déjà négocié le contenu du contrat-cadre applicable et l’adhérent n’a que des choix très limités à faire, indique-t-elle.

Mais quelles que soient les positions de chacun, l’histoire est en marche : le 13 juin prochain, les consommateurs qui le souhaitent pourront contracter leur assurance en ligne, et ce, sans avoir à communiquer avec un représentant. Pour le meilleur ou pour le pire? Depuis le début des discussions il y a plusieurs années maintenant, les positions sont très tranchées. Et ce n’est pas ce projet de règlement qui semble avoir changé la donne.

5 éléments du projet de règlement à retenir

  • Toute personne morale qui offrira un produit ou un service financier sur Internet devra être inscrite à titre de cabinet. Celui-ci devra employer au moins un représentant inscrit.
  • Aucun type d’assurance ne sera exclu de la vente sans représentant. Les cabinets devront cependant s’assurer que la vente par Internet est adaptée aux produits offerts et qu’elle répond aux besoins des consommateurs ciblés.
  • La vente sans l’entremise d’une personne physique devra se faire à l’aide d’une plateforme permettant d’interagir directement avec le client. Les renseignements qui y seront présentés devront l’être dans une forme claire, lisible, précise et non trompeuse.
  • Le système devra être en mesure de détecter qu’un produit ne convient pas aux besoins du client ou qu’une contradiction ou une irrégularité peut mener à un résultat inapproprié.
  • L’ensemble des renseignements recueillis auprès du client par la plateforme et, le cas échéant, par un représentant devront être consignés au dossier client.

Hélène Roulot-Ganzmann