Les nouveaux enjeux de la Multibancarisation

17 avril 2005 | Dernière mise à jour le 17 avril 2005
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(Février 2005)Stéphane, 37 ans, correspond parfaitement àl’épargnant type d’aujourd’hui. Ce fonctionnaire fédérala acquis son dernier ordinateur personnel grâce à un prêtobtenu chez Desjardins. Il a confié une partie de ses placements REERà la Banque de Montréal, où il a également ouvertses comptes bancaires. Il détient en plus des parts du Fonds de solidaritéFTQ, en prévision de sa retraite. Sans oublier ses deux cartes de créditémises par deux institutions concurrentes.

Ce profil éclair vous semble familier? «Dans l’îlede Montréal, le client moyen fait affaire avec un peu plus de trois institutionsfinancières différentes, ce qui n’était pas le casauparavant», avance Jean Perrien, titulaire de la Chaire en managementdes services financiers de l’Université du Québec àMontréal. Auparavant, c’était avant les années 1980,décennie qui a vu éclore ce que le professeur appelle la multibancarisation,c’est-à-dire l’arrivée de nouveaux acteurs sur l’échiquierfinancier québécois : d’autres banques, mais aussi des maisonsde courtage, des fonds de placement, etc. «L’offre est beaucoupplus importante qu’il y a 25 ou 30 ans, constate Renaud Nadeau, vice-présidentde la Gestion personnalisée à la Banque Nationale. Il y a beaucoupplus d’intermédiaires sur le marché.»

Le morcellement des actifs des clients est la conséquence de ces changements.«Les parts de portefeuille détenues par chaque institution oscillententre 25 % et 35 % chez les biens nantis, clientèle privilégiéedes planificateurs financiers, soutient M. Perrien. Dans les années 1960,il y a de fortes chances que mes parents aient confié 70 %, voire 100%, de leurs avoirs à la même banque.»

Fort de 20 ans d’expérience, Pierre Trépanier a aussi constatéce phénomène sur le terrain. «Les gens “magasinaient”moins à l’époque», dit le directeur de RBC Investissements.Un changement d’habitudes qu’il attribue notamment à l’intérêtsomme toute récent des Québécois francophones pour la chosefinancière. «Ils ont commencé à s’intéresserau marché boursier avec l’avènement des régimes d’épargne-actions,vers la seconde moitié des années 1980», enchaîne-t-il.

La gestion personnalisée: une clépour fidéliser sa clientèle«Lorsqu’on a mis en place notre groupe, il y a environ troisans, on détenait à peu près 25 % de la part du portefeuillede nos clients, déclare Renaud Nadeau, vice-président dela Gestion personnalisée à la Banque Nationale. Aujourd’hui,on en est à 33 % ou à 35 %.» Et l’objectif avouéest d’en arriver à 50 %, voire jusqu’à 60 %,du total. Autant d’actifs qui échappent désormaisà la concurrence. Comment l’institution est-elle parvenueà un tel succès? En mettant sur pied une force de 300 planificateursfinanciers au service exclusif d’une clientèle nantie. Ceclub sélect se compose de plus de 110 000 clients(professionnelsde la santé, entrepreneurs, etc.), repérés, notamment,grâce aux précieuses bases de données de la société.«On a assigné à nos professionnels des objectifs dedéveloppement bien précis», explique M. Nadeau. Commela mise au point de stratégies de placement globales et personnaliséessusceptibles d’inciter le client à confier davantage d’actifsà son conseiller.

Pour favoriser la durabilité et la qualitéde la relation d’affaires, la division de la Banque Nationale misebeaucoup sur la stabilité de son équipe de planificateursfinanciers, dans un secteur où leur taux de roulement a historiquementété élevé. Ainsi, le mode de rémunérationn’est plus fixe, mais plutôt basé sur les résultatsobtenus. «Si le client a confiance, s’il a de bons produitset une bonne communication avec son conseiller, il va centraliser sesavoirs. Mais s’il change de conseiller tous les ans, on est àrisque.»

Dès lors, des hordes de nouveaux investisseurs ont confié unepartie de leurs économies à des courtiers en valeurs mobilièresqui n’étaient pas nécessairement à l’emploide caisses ou de banques. Le morcellement est bien entamé… Une décennieplus tard, la venue d’Internet et la montée en flèche ducourtage à escompte qui a suivi ont accentué cette tendance àla dispersion des avoirs personnels. De plus en plus nombreux et prisésau fil des ans, les magazines et les sites Internet spécialisésont rendu l’investisseur plus connaisseur, plus exigeant et, conséquemment,plus mobile.

«La priorité, ce n’est plus tellement l’acquisitionmais la rétention de la clientèle et l’accroissement dela part du portefeuille», estime M. Perrien. Les grandes institutionsgardent d’ailleurs jalousement pour elles leurs stratégies en cesens, à en croire la réticence de plusieurs d’entre ellesà en discuter dans le cadre de cet article. «Ce qu’on a misde l’avant, c’est l’optique conseil, explique M. Trépanier.Même si les gens font parfois leurs propres transactions, ils recherchentdes conseils depuis quelques années.»

La débâcle boursière du nouveau millénaire a rappeléà plus d’un épargnant qu’ils n’ont pas labosse des finances. M. Trépanier insiste donc sur l’importancede prendre le temps de dresser le profil financier du client, de définirses objectifs, sa tolérance au risque, son degré d’expertise.«Chez RBC, on remplit un questionnaire de 12 questions», étapeincontournable devenue la norme dans l’industrie. «Nos conseillersdoivent rencontrer nos clients au moins deux fois par année, poursuitM. Nadeau, responsable d’une équipe de 300 planificateurs àla clientèle aisée. Toutes ces démarches semblent fructueuses.«Depuis deux ou trois ans, j’ai la confirmation que çaporte ses fruits sur le plan de la rétention de la clientèle»,note M. Trépanier. Même écho favorable de son confrèrede la Banque Nationale, dont la division Gestion personnalisée a sensiblementhaussé la part de portefeuille de ses clients(voir La gestion personnalisée: une clé pour fidéliser sa clientèle).

Vers un retour du balancier ?M. Trépanier n’est pas le seul à croire que cette tendanceà la dispersion des actifs tire à sa fin. «Les gens sontde plus en plus pressés», rappelle-t-il. Rien pour encouragerla gestion simultanée de plusieurs comptes disséminésà droite et à gauche. Et puis l’industrie bancaire a faitses devoirs. Elle a investi tous les champs de la finance : assurance, courtageen valeurs mobilières… Signe des temps, depuis deux ans, RBCGroupe Financier propose également à ses clients les fonds communsde la compétition. Une stratégie retenue par ses semblables.«Les clients peuvent maintenant presque tout trouver dans le mêmegroupe financier, dit M. Trépanier. Et ça nous a servi àamasser et à consolider des actifs.»

En outre, les institutions ont multiplié les canaux de distribution.Si bien qu’il est aujourd’hui possible de rencontrer un conseilleren succursale, de contracter en tout temps une assurance vie par téléphoneou par Internet, de négocier une hypothèque avec un représentantvenu chez soi… Caisses et banques ont également affiné etélargi leur gamme de produits financiers. Une gamme complètementdifférente de celle offerte il y a à peine cinq ans, relèveM. Nadeau. «Tous les six mois, on arrive avec de nouveaux produits pourêtre en mesure d’offrir à nos clients la diversitédont ils ont besoin, dit-il. La diversification ne veut pas dire investir dansplusieurs institutions financières, mais plutôt que l’institutionavec laquelle travaille le client lui propose de la diversification.»