Ces impopulaires produits financiers pour retraités

Par Alizée Calza | 26 octobre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Ion Chiosea / 123RF

Pourquoi certains produits financiers pour retraités, qui semblent pourtant répondre à un besoin, n’arrivent pas à se vendre? L’Institut sur la retraite et l’épargne (IRE) de HEC Montréal s’est penché sur la question.

Lors d’une récente conférence, des chercheurs de l’Institut ont présenté quelques-unes de leurs analyses en cours. Se basant sur des sondages et des études, ils ont tenté d’expliquer l’impopularité au Canada de l’assurance soins de longue durée, des rentes viagères et des hypothèques inversées.

LA DEMANDE D’ASSURANCE SOINS DE LONGUE DURÉE

Depuis peu, Manuvie et Desjardins n’offrent plus de produits individuels d’assurance soins de longue durée, note Martin Boyer, professeur au département de finance et titulaire de la Chaire de recherche Power Corporation du Canada sur les régimes de retraite et d’assurances à HEC Montréal.

Alors que tout semble indiquer que ce produit devrait être populaire, seuls 10 % des Canadiens possèdent une telle assurance. Selon les données de Statistique Canada, les ménages dépensent 6,5 milliards de dollars par an en soins de longue durée. Environ une personne âgée de plus de 50 ans sur deux aurait besoin d’aide dans ses activités quotidiennes.

Les sondages montrent que les possibles barrières liées à l’offre d’assurance privée et aux services proposés par le gouvernement ne semblent pas vraiment expliquer cette incohérence entre les données statistiques et la demande. Le chercheur en conclut que cette impopularité est liée à un manque d’information.

« On a un produit qui a potentiellement une grande valeur aux yeux des gens. Une personne sur deux en aura besoin, mais la population ignore son existence et comment il fonctionne. La pénétration de ce produit d’assurance est en deçà de 15 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE, et au Canada, c’est en bas de 2 % », conclut Martin Boyer.

RENTES VIAGÈRES ET HYPOTHÈQUES INVERSÉES

Pierre-Carl Michaud en arrive à la même conclusion en ce qui concerne les rentes viagères et les hypothèques inversées.

Bien qu’ils assurent des revenus jusqu’au décès, ces produits ne sont pas populaires, car méconnus, indique le professeur au Département d’économie appliquée, titulaire de la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques et directeur de l’Institut sur la retraite et l’épargne à HEC Montréal.

Pierre-Carl Michaud conçoit que les hypothèques inversées soient encore mal comprises puisqu’il s’agit d’un produit relativement nouveau, mais il souligne que les rentes viagères sont offertes au pays depuis 1962 et devraient donc être plus populaires.

L’hypothèque inversée est un emprunt qui est garanti par la valeur d’une maison. Il permet d’obtenir entre 10 % et 40 % de la valeur estimée de la résidence en fonction de l’âge des propriétaires.

À nouveau, ce type de produit est intéressant puisqu’il offre une protection contre le risque de longévité, qui est de plus en plus grand. Logiquement, le marché des rentes viagères devrait devenir de plus en plus important, mais ce n’est pas le cas.

« En 2017, les rentes individuelles privées ont cumulé 16 milliards de dollars en prestations et 14 milliards en primes, contre 17 milliards en 2010. C’est donc un marché qui n’a relativement pas bougé », souligne Pierre-Carl Michaud.

Pour tenter d’expliquer cette incohérence, le chercheur s’est appuyé sur des sondages et en a conclu que le prix de ces produits n’était pas en cause, mais qu’ils n’étaient simplement pas assez bien compris par la population.

L’AVIS DES PROFESSIONNELS

Interrogé sur le risque de longévité et sur le système canadien en matière de retraite, Michel St-Germain, actuaire à Mercer, souligne que le régime public bouge très lentement et que le fait qu’il s’agisse d’un système diversifié et flexible attribue beaucoup de responsabilités aux citoyens. Selon lui, les risques liés à l’utilisation du capital de retraite (l’accumulation et le décaissement) sont grands, comme le fait de décaisser trop vite son capital, mais il est d’avis que l’on sous-estime les retraités.

Selon lui, ces derniers ne sont pas aussi « peureux » qu’on l’imagine et n’hésitent pas à prendre des risques afin d’augmenter leur capital de retraite. Il croit également qu’une des solutions pour répondre au risque de longévité se trouve dans le report des versements du Régime de rentes du Québec.

De son côté, Nathalie Tremblay, chef de produits d’assurance santé chez Desjardins, entrevoit un avenir plus obscur. Selon elle, les Canadiens devraient davantage se soucier des produits d’assurance de soins longue durée plutôt que de se fier uniquement au gouvernement.

Elle rappelle ainsi les chiffres de l’Institut canadien des actuaires, qui avait calculé que les soins de santé représentaient 44 % du budget des provinces en 2012 et qu’ils en constitueraient 97 % en 2037. Elle estime donc que les Canadiens devraient s’intéresser rapidement à l’assurance vie et à l’assurance soins de longue durée avant que celles-ci ne proposent de moins bonnes conditions.

Pour sa part, Éric Bisaillon, vice-président exécutif, ventes référencées et partenariats à HomeEquity Bank, explique que beaucoup de travailleurs croient que leur maison sera leur plan de retraite.

« L’immobilier constitue souvent plus de 75 % de l’actif total des aînés, affirme-t-il. Mais il ne s’agit que d’un capital sur papier, car une fois à la retraite, peu d’aînés acceptent de vendre leur maison. »

Selon lui, l’hypothèque inversée ne doit pas être considérée comme une assurance longévité et n’est pas perçue ainsi par les Canadiens. Il s’agirait davantage d’un moyen efficace pour avoir de l’argent rapidement. Les clients qui s’adressent à HomeEquity Bank le feraient souvent soit pour rembourser des dettes, soit pour régler une grosse dépense.

UN PEU D’OPTIMISME?

La majorité des retraités arrivent à épargner autant que lorsqu’ils travaillaient, soulignent toutefois Bernard Morency, professeur associé à l’IRE, et Michel St-Germain, citant des données de Statistique Canada. Les retraités ajustent ainsi leur train de vie à leurs revenus.

Selon Michel St-Germain, les problèmes liés à la retraite qui menacent la société (par exemple, le fait de devoir prendre sa retraite plus tard en raison d’un manque de capital…) ne sont pas aussi noirs que le prédisent souvent les experts. Il est convaincu que les retraités et le gouvernement parviendront à s’ajuster. Ce qui n’est pas l’avis de Bernard Morency.

« Pris individuellement, tous ces problèmes ne sont pas inquiétants, mais ensemble, je pense qu’on a un enjeu collectif », conclut celui-ci.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.