Investir aux portes d’une récession

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 3 juin 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : abscent / 123RF

Le monde semble aux portes d’une nouvelle récession et cela a des conséquences sur les placements à proposer à vos clients.

Plusieurs organisations financières dans le monde annoncent des ralentissements économiques et certains pays comme l’Italie et l’Australie sont déjà officiellement en récession. Un contexte que l’économiste Guy Mineault attribue à un croisement de facteurs, mais qu’il croit exacerbé par la politique économique et commerciale du président américain Donald Trump.

« Le problème aujourd’hui est que les gouvernements ont peu de marge de manœuvre, tant du côté fiscal que du côté monétaire », affirme-t-il dans le cadre d’une conférence donnée à l’occasion de la Journée mondiale de la santé financière, organisée par le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF). D’une part, ils sont en effet déjà très endettés et ne peuvent donc pas se permettre de se lancer dans une politique de grands travaux d’infrastructure. De l’autre, les taux d’intérêt sont déjà très bas, parfois même négatifs dans certains pays, il n’est donc pas envisageable de se lancer efficacement dans une politique monétaire consistant à réduire les impôts et les taux d’intérêt afin que les gens aient plus d’argent pour consommer. »

IMPÔTS ET TARIFS

Il explique que Donald Trump a alors fait le choix de baisser le taux d’imposition des entreprises de 35 à 21 %, puis de fixer des tarifs sur les importations, notamment en provenance de Chine.

« Son objectif était de relancer la croissance américaine, souligne l’économiste. D’un côté, il fait en sorte que les produits étrangers soient plus chers et que les consommateurs aient donc intérêt à acheter américain. De l’autre, les entreprises américaines sont moins taxées et font plus de profits, de sorte qu’elles peuvent baisser le prix de leurs produits et embaucher, et ainsi relancer la consommation. Sauf que ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. »

La réalité est que deux ans plus tard, la croissance n’est que de 2,2 % et la dette américaine n’a jamais été aussi importante. Au lieu d’embaucher, les entreprises ont remboursé leur dette, racheté leurs actions en Bourse, rationalisé leurs coûts, procédé à des mises à pied tout en augmentant la rémunération de leurs hauts dirigeants. Quant à la population, elle dépense entre 500 et 850 dollars de plus par an aujourd’hui par rapport à 2016, pour le même panier d’épicerie.

« Les banques se sont refait une santé depuis la crise de 2008, les gouvernements les ayant refinancées de peur que tout le système financier explose, ajoute M. Mineault. Cette manne, elles l’ont investie en Bourse. Tellement que le système bancaire et le marché boursier sont aujourd’hui intimement liés. Les Bourses vivent ainsi sous respirateur artificiel. Lorsqu’elles chutent, les banques fédérales créent de l’argent pour acheter des actions et ainsi les soutenir et éviter ainsi que les institutions bancaires ne se plantent. »

DÉCONNEXION DE WALL STREET

En conséquence de quoi les fonds négociés en Bourse sont aujourd’hui de plus en plus déconnectés de leur indice de référence. Sur les 500 entreprises cotées au S&P 500, cinq d’entre elles font la pluie et le beau temps, les fameuses « FAANG», à savoir Facebook, Apple, Amazon, Netflix et Google. Si Wall Street a gagné 2,65 % en 2018, sans les FAANG, elle aurait subi une perte de 0,73 %. Alors que les FAANG ont gagné à elles seules 3,38 %.

« Dans ce contexte, il faut créer de nouveaux outils susceptibles de distinguer les bons fonds des mauvais parmi les 36 800 produits disponibles au Canada », prévient l’économiste.

Selon lui, un bon fonds doit toujours et encore être diversifié, mais la diversification géographique ne figure plus parmi les stratégies pertinentes, toutes les Bourses observant aujourd’hui la même tendance. La diversification se définit par secteur. Avant d’investir dans un fonds, mieux vaut donc vérifier que tous les titres ou presque ne se situent pas dans le secteur de l’énergie ou du transport. Il faut également être attentif au momentum. Deux fonds, qui à un moment ont un rendement de 7 % ne sont pas forcément de qualité égale si le premier est en pleine croissance alors que le deuxième est en chute libre. Enfin, l’écart type est une donnée fondamentale.

« Un investisseur doit observer où se situe le fonds en fonction de son écart type sur les trois dernières années, explique l’économiste. Cela donne une bonne idée de ses capacités de progression. »

Quoi qu’il en soit, Guy Mineault fait remarquer que les Bourses sont très étroites, puisque quelques titres seulement leur permettent d’être dans le vert, et qu’à chaque fois que cela a été le cas, la situation s’est mal terminée.

« Il y a forcément un moment où ça va chuter, estime-t-il. En tant que conseiller, gestionnaire ou investisseur, votre rôle est de choisir des fonds qui chutent moins forts que la Bourse et qui se relancent rapidement. »

3 stratégies à éviter

  • Acheter en fonction des frais de gestion les plus bas. L’important, c’est le rendement net. Des frais de gestion de 2 % pour un rendement de 5 %, c’est moins intéressant que des frais de gestion de 3 % pour un rendement de 10 %.
  • Se fier aux étoiles de Morningstar. Ce classement n’indique que ce qui s’est produit par le passé pour chaque fonds, ce qui n’est en rien garant de l’avenir, surtout dans un marché en pleine mutation et complètement déconnecté.
  • Accorder une confiance aveugle à tel ou tel gestionnaire. L’important, c’est le produit, pas celui qui s’en occupe. Qui miserait sur le gagnant de la Coupe Stanley en fonction du DG de l’équipe qui a gagné l’année précédente?

Quel avenir pour le CDPSF?

Rassembler le plus de conseillers possibles, voilà l’un des grands objectifs du Conseil. Il compte aujourd’hui 14 000 membres environ, dont 7 500 représentants du Mouvement Desjardins, avec lequel il a signé une entente. Celle-ci prendra fin en novembre, mais les négociations vont bon train afin qu’elle soit renouvelée.

« Nous avons également beaucoup de membres de la Banque Laurentienne et de la Banque Nationale, souligne Mario Grégoire, président fondateur du CDPSF. Et nous faisons de gros efforts pour aller chercher le réseau des indépendants. Pour cela, nous développons notre offre de formation. »

Outre l’épargne collective, celle-ci touche aujourd’hui des sujets liés à la sécurité financière ou encore aux valeurs mobilières. Le Conseil produit également des formations en lien avec les divers guides publiés par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il en offre ainsi déjà une sur la gouvernance et la conformité en ligne et en lancera une autre cet automne sur les clients vulnérables.

Hélène Roulot-Ganzmann