Investir dans la réconciliation

Par Carole Le Hirez | 7 mars 2024 | Dernière mise à jour le 6 mars 2024
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Inuit Mère et sa fille, robe traditionnelle Île de Baffin Nunavut.
RyersonClark / iStock

La finance durable joue un rôle important dans le processus de réconciliation avec les Premières Nations. « Dans un monde polarisé, les changements dans la société civile et dans l’économie passeront par du capital qui aura plus d’impact que le simple rendement financier », a indiqué Roger Beauchemin, président de l’Association de l’investissement responsable du Canada (AIR), lors d’un récent colloque à Montréal sur le rôle de l’investissement responsable (IR) dans la réconciliation.

Les préoccupations environnementales occupent une place centrale dans les projets impliquant les communautés autochtones, surtout dans le contexte des changements climatiques. François Meloche, directeur de l’engagement chez Aequo, souligne que l’activité minière, en particulier, joue un rôle crucial dans la transition énergétique, qui se concentre souvent dans des territoires appartenant à des peuples autochtones. Cette situation est source de nombreux conflits dans le monde, signale-t-il.

Lorsqu’il s’agit d’investissement, il est inévitable de prendre en compte les droits des Premières Nations, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones. Les entreprises porteuses de projets et les investisseurs ont la responsabilité de ne pas contribuer à des violations des droits de la personne, précise l’expert.

Cependant, intégrer la réconciliation dans le processus d’investissement pose plusieurs défis, notamment au niveau des critères de sélection des titres, qui demeurent peu définis. Branden M. Morris, gestionnaire d’investissements pour le conseil mohawk de Kahnawake, signale qu’il n’existe pas de définition formelle de l’IR dans sa communauté. Les critères d’investissement y sont étroitement liés aux valeurs. « Si la communauté n’appuie pas le projet, on ne le considère pas. L’impact de l’investissement doit être plus large que financier », dit le gestionnaire.

Selon Ian Picard, directeur de RBA Groupe financier, un organisme sans but lucratif qui gère des régimes d’avantages sociaux pour les membres des Premières Nations, l’IR pour les peuples autochtones s’inscrit dans une vision holistique, englobant le bien être des communautés, les pratiques coutumières et le respect des ressources.

Il précise que le cadre juridique pour les autochtones diffère de celui qui régit la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) et que le cadre ESG ne nomme pas les droits des Premières Nations. Le nouveau cadre ESG + A, qui intègre le critère autochtone, permet cependant de travailler en amont avec les investisseurs pour limiter les risques sur des projets touchant le territoire autochtone. « Une mauvaise gestion du risque dans ce contexte pourrait frapper de plein fouet le rendement de certaines compagnies », prévient Ian Picard.

En 2023, RBA a sondé ses gestionnaires sur la manière dont ils intègrent ces considérations dans leur pratique. Environ 20 % des gestionnaires interrogés ont répondu utiliser un critère spécifique pour tenir compte de l’impact sur les Premières Nations dans les investissements à l’intérieur des portefeuilles. De plus, 47 % des conseillers ont dit prendre en compte des critères sociaux génériques, qui incluent les Premières Nations.

Pour assurer une intégration efficace des droits autochtones, des pratiques telles que des enquêtes ESG régulières, des visites régulières des sites et une consultation continue de la communauté font partie des meilleures pratiques, note Ian Picard.

Les investisseurs doivent également s’assurer que le consentement libre, préalable et éclairé des communautés a été obtenu avant tout projet touchant les territoires autochtones. Cependant, peu de sources indépendantes permettent de vérifier cet aspect, suggère François Meloche. Des initiatives comme la création d’une agence contrôlée par les Premières Nations impactées par le projet, le gouvernement et le promoteur, et intégrant des experts indépendants dans divers domaines pour recevoir les plaintes des citoyens, permettent d’exercer une saine surveillance d’un projet, mentionne-t-il.

Voici quelques exemples de meilleures pratiques pour des investissements respectueux des Premières Nations, selon les participants à la table ronde :

  • Élaborer un plan d’action de réconciliation précisant la collaboration avec les peuples autochtones et les investissements effectués dans les projets.
  • Former les employés non autochtones aux réalités culturelles des Premières Nations pour lutter contre les biais inconscients.
  • Recruter des membres des Premières Nations à tous les niveaux de l’organisation, en évitant l’indigénisation, qui consiste à embaucher des Autochtones pour remplir des quotas.
  • Privilégier les projets qui incluent les communautés autochtones locales.

Les capitaux soutenant la transition énergétique doivent prendre en compte la dimension sociale des projets pour financer une transition juste, minimisant les impacts sur les communautés, notamment sur l’approvisionnement en eau, considèrent les participants. Les projets de transition juste s’efforcent de comprendre comment ces enjeux sont pris en compte dans les portefeuilles d’investissement.

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Carole LeHirez

Carole Le Hirez

Carole Le Hirez est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.