La naissance d’un FNB

Par Simon Doyle | 20 février 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Illustration du vieillissement d'un homme : bébé, enfant, adolescent, adulte et aîné.
Photo : lukpedclub / 123RF

Chaque jour de Bourse, vers 7h, heure de l’Est, Sphere Investments, une société de fonds négociés en Bourse (FNB) de Toronto, reçoit un fichier de données de son fournisseur d’indices, FTSE Russell. Transmis par le truchement d’un serveur sécurisé, le fichier contenant la composition des portefeuilles informe Sphere des pondérations connexes et de tout changement à apporter à ses positions.

En tant que lien entre le fournisseur d’indices et Sphere, le fichier est nécessaire pour que les FNB de la société suivent leurs indices respectifs. Le matin, on vérifie un autre fichier mis à jour – pour s’assurer qu’aucun événement survenu durant la nuit n’a eu d’incidence sur le marché – avant d’exécuter des ordres.

« En fait, tout ce que nous recevons de FTSE consiste en un fichier de données qui indique les actions que nous sommes censés détenir, explique Keith McLean, président et chef des placements de Sphere. C’est à FTSE qu’il revient de gérer son application dorsale (back end) et de fournir ce fichier. »

Les cinq FNB de Sphere suivent chacun une version différente, du point de vue géographique, des indices à rendement durable FTSE Russell 150, qui sont composés d’actions de grande qualité donnant droit à des dividendes. Lancés en 2015, ils sont en majorité la création de FTSE, qui a mis au point sa méthodologie fondée sur le rendement durable en prévision de la demande.

LE BOOM DES INDICES

Si vous avez assisté récemment au lancement d’un FNB et que vous vous êtes demandé si l’indice que celui-ci reproduit existait auparavant, il y a une bonne chance que la réponse soit non. Le secteur mondial des FNB est en pleine expansion : en mai 2017, son actif sous gestion a dépassé les 4 000 G$ US grâce à des rentrées mensuelles records de 37,94 G$ US.

Parallèlement, le nombre d’indices a monté en flèche, de même que le nombre de sociétés les fournissant. Celles-ci ne se limitent plus à MSCI, S&P et NASDAQ ; Barclays, Zacks et WisdomTree font maintenant partie du lot. En mai 2017, le nombre d’indices boursiers a grimpé à environ 5 000, surpassant le nombre total d’actions américaines, qui est en recul depuis 1995, rapporte Bloomberg. Les stratèges du marché affirment qu’on assiste seulement au début de l’ascension des FNB indiciels.

« Le phénomène ne fait que commencer », déclare Tim Baker, directeur de la stratégie-produit de la société de gestion de portefeuille Symmetry Partners, à Hartford, au Connecticut. « Il y a beaucoup de gestionnaires d’actif qui, en quelque sorte, campent sur leur position : « Nous ne lancerons pas de FNB. Nous n’en avons pas l’intention. » »

Petit à petit, toutefois, les gestionnaires actifs reculent. M. Baker s’attend à ce qu’un plus grand nombre d’intervenants du secteur de la gestion active adoptent les FNB quantitatifs et à bêta intelligent, qui suivent des indices de référence spécialisés sans l’aide d’un gestionnaire actif. Beaucoup de stratégies actives peuvent être converties en indices à bêta intelligent, ce qui stimulerait la croissance.

LA SÉLECTION DE L’INDICE À SUIVRE

Pour les fournisseurs de FNB, le choix d’un indice est un exercice qui revient en grande partie à trouver un produit utile pour les conseillers et les investisseurs. Les gestionnaires de fonds ne recherchent pas simplement des offres exceptionnelles, mais aussi des secteurs de croissance, et ils tiennent compte de la demande pour les produits et des besoins des portefeuilles.

Pat Chiefalo s’efforce de visiter le pays d’un bout à l’autre une ou deux fois par année pour rencontrer les conseillers. Celui qui dirige les produits canadiens iShares à BlackRock Asset Management, le plus important fournisseur de FNB du pays selon l’actif géré, a pu constater de lui-même la progression de la demande. Il estime que la croissance annuelle de l’actif des FNB au Canada depuis 2009 a atteint de 10 à 25 %. Lorsqu’il est sur la route, il essaie de déterminer les défis et les points de tension les plus importants dans les portefeuilles des conseillers.

« J’aime les entendre expliquer comment ils conçoivent et construisent leurs portefeuilles. Tout récemment, cette question a pris une part plus importante dans la conversation, indique Pat Chiefalo. Je suis tout disposé à me présenter chez quiconque veut bien m’accueillir dans son bureau. »

L’année dernière, en se fondant sur les demandes des clients et des conseillers, sa société a lancé des versions couvertes en dollars canadiens de ses produits mondiaux à volatilité minimum, qui reproduisent des indices mondiaux MSCI. M. Chiefalo affirme qu’iShares peut lancer de nouveaux FNB après quelques mois de travail, bien qu’une idée exceptionnelle puisse prendre plus de temps à mettre en application.

DÉFINITION D’UN ENSEMBLE DE TITRES

Le gestionnaire de FNB travaille habituellement avec le fournisseur d’indices pour apporter au besoin de petites modifications à l’indice. Alors que le gestionnaire de fonds établit les conditions et les exclusions, le fournisseur d’indices définit l’ensemble de titres.

« Nous sommes un peu comme le côté Intel d’un ordinateur, si vous voulez. C’est nous qui définissons en fait l’ensemble de titres à considérer », explique Ken O’Keeffe, chef mondial des FNB de FTSE Russell à New York. « Ils ont leur mot à dire sur les décisions de ce genre. Mais l’ensemble de départ pour, disons, l’indice toutes capitalisations FTSE Canada – si ce sont des placements au Canada qu’ils recherchent –, c’est par cela que nous commencerons. Puis, en dialoguant avec eux, on pourrait [le] modifier. »

Alors que les gestionnaires de fonds rencontrent les conseillers pour échanger des idées, les fournisseurs d’indices étudient également les marchés pour formuler de nouveaux produits qui conviendront à des besoins ciblés. FTSE, par exemple, affirme qu’il examine constamment de nouveaux indices possibles, comme des indices équipondérés, factoriels ou à pondérations fondamentales, des indices pondérés en fonction des dividendes ou des indices à variance minimum, et qu’il en élabore afin de répondre à une demande éventuelle des clients.

UN INDICE PRÊT À L’AVANCE

C’est ce qui s’est produit dans le cas de Sphere. FTSE Russell, qui cherchait à faire croître sa division des indices, avait déjà établi la méthodologie de l’indice à rendement durable. Lorsque Lewis Bateman, le fondateur de Sphere, a approché FTSE au sujet du lancement d’un nouveau groupe de FNB, on a trouvé l’indice qui correspondait.

Keith McLean, de Sphere, déclare que les indices à rendement durable sont à 90 % la création de FTSE. « Au fond, nous en avons fait un instrument plus commercialisable [et] nous l’avons axé un peu plus sur les titres de qualité supérieure », explique-t-il.

Sphere a conclu une entente pour que les indices servent exclusivement à ses fonds pendant cinq ans – aucun autre fournisseur de FNB n’y aura accès – et pourra renouveler les modalités d’exclusivité. Elle travaille maintenant à mettre au point d’autres gammes de produits pour répondre à la demande à long terme, affirme M. McLean, et envisage de changer de fournisseur d’indices en fonction des besoins des FNB. « FTSE ne sera pas notre seul partenaire en matière d’indices. Nous collaborons déjà avec d’autres fournisseurs », précise-t-il.

« Nous sommes en train de concevoir des indices et des algorithmes, parfois avant même qu’un client nous déclare que ça l’intéresse , illustre M. O’Keeffe. Dans d’autres cas, l’approche repose beaucoup sur la consultation. Habituellement, le fournisseur de FNB essaie d’obtenir une participation ou un résultat de placement donné pour son investisseur final. »

Il offre un autre exemple : lorsque l’investisseur canadien Kevin O’Leary a approché FTSE en 2015 pour le lancement d’un FNB d’actions et de dividendes (inscrit par la suite sous le nom d’OUSA à la Bourse NYSE Arca), la firme avait déjà conçu des indices en se fondant sur la demande estimée, après avoir effectué une enquête auprès des conseillers et des investisseurs individuels. Le fournisseur d’indices avait déjà mis au point un indice qui répondait en bonne partie aux besoins de M. O’Leary, auquel celui-ci a ajouté sa touche.

SOUTIEN ET FRAIS

Keith McLean avance que Sphere a choisi de travailler avec FTSE en partie à cause du soutien que le fournisseur d’indices était prêt à offrir – y compris en ce qui concerne le marketing et les relations institutionnelles –, lorsque la société cherchait à prendre de l’expansion au Canada. « Il est rémunéré en fonction de l’actif que nous gérons. Plus nous grossissons, plus c’est payant pour lui », explique-t-il.

Le soutien du fournisseur d’indices varie d’une entreprise à l’autre, mais une aide peut être offerte sous la forme d’informations concernant le marketing et le marché ainsi que la prestation de conférences et d’une formation.

Les principaux indices (notamment S&P, FTSE, MSCI et NASDAQ) facturent généralement aux fournisseurs de FNB des points de base de l’actif géré. Certains fournisseurs d’indices de plus petite taille peuvent demander des frais fixes, par exemple 20 000 $ par année. Les frais exigés dépendent des conditions et de la complexité de l’indice ainsi que des facteurs appliqués. Plus le nombre de données d’entrée est réduit, moins le service coûte cher.

Les grands fournisseurs d’indices jouissant d’une bonne réputation commerciale peuvent facturer des tarifs plus élevés, tandis les fournisseurs de FNB d’envergure possèdent un pouvoir de négociation qui leur permet d’obtenir un meilleur prix, soutient Kevin Gopaul, chef de BMO Gestion mondiale d’actifs Canada et chef des fonds négociés en Bourse et des placements mondiaux. Les fournisseurs de FNB incluent le coût de l’indice dans le calcul de leur ratio de frais de gestion ou dans leurs frais totaux. Une règle officieuse du secteur d’activité veut que de 10 à 20 % du ratio de frais de gestion global soit versé au fournisseur d’indices, témoigne M. Gopaul, qui dirige le deuxième plus important fournisseur de FNB du Canada selon l’actif géré. « C’est ce que je constate à l’échelle mondiale », affirme-t-il.

Toutefois, au fur et à mesure que le marché s’élargit, la pression concurrentielle augmente et fait reculer les ratios de frais des FNB – or, les gestionnaires de fonds portent une attention croissante aux frais des fournisseurs d’indices. En mai 2017, The Financial Times a rapporté que certains grands gestionnaires, comme State Street, BlackRock et Vanguard, cherchaient à coopérer entre eux pour créer une forme d’autoindexation plus économique.

L’ESPACE CONCURRENTIEL

Au même moment, de nouveaux acteurs émergent, dotés d’offres concurrentielles, observe Kevin Gopaul, en citant un fournisseur d’indices de Francfort. « Certains d’entre eux, comme Solactive, arrivent avec une proposition de valeur très différente. Ils font leur entrée à un très bas coût en tenant le discours suivant : « Ne vous souciez pas de mon nom de marque; j’aurai la technologie allemande de pointe derrière moi » ».

En 2012, BMO a lancé un FNB d’actions privilégiées (TSX : ZPR), en travaillant avec Solactive à un produit et un indice distinctifs, poursuit Kevin Gopaul. Bien que la banque soit en relation avec les grands fournisseurs, notamment MSCI et FTSE, elle ne pouvait trouver un autre fournisseur d’indices apte à offrir à la fois stabilité et rendement, dit-il.

Celui-ci discute régulièrement avec les conseillers, à l’affût d’expériences à acquérir et partager. La société pense toujours à lancer des FNB qui « apportent d’autres outils à la panoplie du conseiller », notant que les investisseurs canadiens sont généralement centrés sur le taux de rendement.

Les conseillers devraient se préparer à passer en revue un nombre beaucoup plus élevé d’options, car les lancements de FNB se multiplient. Les fournisseurs de FNB se disent heureux de vous aider à démêler le tout.

« Vous pouvez littéralement découper le Canada en des centaines de secteurs et de sous-secteurs. Évidemment, vous pouvez aussi le faire pour chaque pays du monde, et nous pouvons le faire pour n’importe quel groupe de pays à l’échelle mondiale », affirme Ken O’Keeffe, de FTSE. Peaufinez continuellement ces indices en entrant d’autres facteurs comme les couvertures de change en dollars américains, en euros ou en yen et « vous obtiendrez tout simplement un nombre incroyable d’indices », dit-il.

Ce texte est initialement paru dans le journal Advisor’s Edge Report de juin 2017.

Simon Doyle