Se présenter au travail même si on ne sent pas bien ?

Par Nathalie Savaria | 31 août 2023 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
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Une femme assise devant un ordinateur sur un bureau. Elle se masse le cou.
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Alors que bon nombre d’employés s’obligent à travailler même s’ils ne sentent pas bien, cette décision peut coûter cher aux entreprises, voire davantage que de s’absenter.

C’est ce que révèle notamment une étude récente du Conference Board du Canada.

UN COÛT FINANCIER IMPORTANT

En fait, « il s’avère que travailler lorsque nous ne nous sentons pas bien peut engendrer une diminution de la productivité trois fois plus grande pour l’entreprise que de s’absenter », indique Annie Boilard, présidente, Réseau d’Annie RH, s’appuyant sur « cette étude, très crédible, du Conference Board qui vient chiffrer, pour la première fois à ma connaissance, précise-t-elle, ce phénomène ».

PLUS QU’UN SIMPLE MALAISE

Mais que signifie au juste « ne pas se sentir bien » ?

D’après Annie Boilard, il ne s’agit pas ici d’un vague à l’âme passager au retour de ses vacances d’été ou d’un inconfort très léger, mais bien de problèmes de santé physique ou mentale plus importants.

« Par exemple, dans le cas de la santé mentale, ce sont des symptômes liés à la dépression ou à l’anxiété sévère ou, dans le cas de la santé physique, ce sont des douleurs intenses ou des migraines. »

UNE RÉALITE IGNORÉE

Or, selon l’étude du Conference Board du Canada, « 80 % des entreprises n’ont pas pris conscience de l’équation entre les trois éléments suivants : leur politique de présence au travail, les comportements humains qui en découlent et les coûts liés à la diminution de la productivité », mentionne la spécialiste en RH.

« Pire encore, poursuit-elle, 90% des entreprises canadiennes n’ont jamais évalué le coût de leur politique de présence au travail sur la productivité. »

UN EFFET DOMINO

Cela dit, comment expliquer que la présence d’un employé qui ne se sent pas bien ait une telle incidence négative sur la productivité, alors que celui-ci accomplit au moins une partie de son travail ?

« La raison est la suivante : si je me présente au travail et que je ne me sens pas bien, j’accrois les risques que ma santé se dégrade. Ce faisant, j’enclenche un mécanisme où j’ai des vagues d’absences prolongées et, ultimement, un diagnostic d’invalidité à court terme ou à long terme. »

La spécialiste en RH illustre ainsi les conséquences de cet effet domino :

« Imaginons un scénario catastrophique pour un employeur : un congé d’un mois renouvelable. Dans un cas comme celui-là, l’employeur ne va pas nécessairement pourvoir le poste. Puis, le congé va se renouveler une fois, deux fois, et ainsi de suite jusqu’à 18 mois, à raison d’un mois chaque fois. Le poste n’est pas comblé, et l’équipe doit pallier l’absence de l’employé. Et ça, ça coûte cher en productivité. Il est là le vrai problème. »

DES PRÉJUGES TENACES

Par ailleurs, certains employés qui ne vont pas bien, par exemple ceux qui sont aux prises avec un problème de santé mentale, tairont leur état à leur employeur, par crainte d’être jugés, et se forceront à rentrer au travail.

De fait, d’après Annie Boilard, « un employé sur quatre au Canada dit être témoin de stigmatisation en matière de santé mentale dans son entreprise ».

« La stigmatisation, ce n’est pas juste qu’on n’en parle pas, mais que, souvent, on fait des blagues, on ridiculise, on minimise », dit-elle.

DES MESURES POUR CHANGER LA DONNE

Pour la spécialiste en RH, les entreprises peuvent contribuer à changer la situation de manière concrète.

« Il faut d’abord sensibiliser les sceptiques par rapport à l’effet domino dont on parlait tantôt, puis sortir sa calculette pour évaluer combien coûte sa politique de présence au travail. Combien on paie en absences et en invalidité, à court terme et à long terme ? Combien ça coûte en termes de productivité ? Et quel est l’impact de sa politique de présence au travail ? »

Ensuite, les entreprises peuvent bonifier le nombre de congés de maladie payés. À ce propos, l’experte en RH souligne « qu’un tiers des entreprises canadiennes n’offrent aucun congé payé en plus du minimum prévu par la loi ».

Elle conseille aux employeurs qui s’inquiètent des risques d’abus de la part de certains employés « de garder les yeux sur la vraie balle » :

« Il y a 3 à 5 % des employés qui vont prendre congé même s’ils ne sont pas malades, mais l’enjeu, la balle, c’est qu’il y a plus de 60 % des employés qui vont aller travailler même s’ils ne se sentent pas bien. L’argent et la baisse de productivité, ce ne sont pas les 3 à 5 % des employés qui vont exagérer, mais plutôt les 60 % qui viennent travailler alors qu’ils ne devraient pas. »

« Donc, continue-t-elle, « le but n’est pas de prévenir l’exagération, mais d’outiller les gens pour légitimiser le comportement de prendre soin de soi, au début, quand on commence à ne pas se sentir bien, pour éviter la chaîne de dégradation de la santé. »

Finalement, les entreprises ont tout intérêt à miser sur la formation et la sensibilisation en matière de santé mentale, la protection de celle-ci étant d’ailleurs l’une des responsabilités de l’employeur, en vertu de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail.

« La stigmatisation n’a pas sa place. Il faut parler de santé mentale en milieu de travail », conclut Annie Boilard.

Natalie Savaria

Nathalie Savaria

Nathalie Savaria a été rédactrice en chef de magazines dans le domaine de l’immobilier commercial. Elle est journaliste indépendante.