En route pour les tracances ?

Par Nathalie Savaria | 6 juillet 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Travailler à la plage
Photo : TARIK KIZILKAYA / iStock

UN MOT VALISE À CLARIFIER

À priori, la combinaison des mots « travail » et « vacances » évoque deux réalités opposées, d’où une certaine confusion autour de ce concept.

CE NE SONT PAS DES VACANCES

En fait, les tracances reposent sur l’idée de pouvoir aller travailler à l’extérieur du bureau ou de chez soi, en prolongeant un séjour dans une destination réservée en général aux vacances.

« L’idée n’est définitivement pas de substituer des vacances par des tracances […] Il s’agit plutôt d’une flexibilité additionnelle qui est offerte aux employés par l’employeur, en leur permettant, en sus de leurs vacances, d’étirer leur séjour en prenant des tracances », explique Annie Boilard, présidente de Réseau Annie RH et spécialiste en ressources humaines.

Donc, il ne s’agit pas de vacances : l’employé travaille et est rémunéré à 100 % durant ses tracances. En contrepartie, il doit s’assurer d’effectuer sa prestation de travail en entier, et ce, de façon transparente pour ses collègues, ses clients et son entreprise.

NI DU TÉLÉTRAVAIL

Il ne s’agit pas non plus de télétravail en tant que tel, puisque les tracances sont d’une durée limitée.

« Certains employeurs vont offrir trois semaines ou un mois et les plus généreux jusqu’à deux-trois mois. »

En outre, contrairement au télétravail où le bon fonctionnement de l’équipe est une responsabilité partagée entre ses membres, en tracances, c’est au tracancier de s’adapter et non l’inverse.

« Par exemple, si je décide d’aller en Australie, ce sera à moi de m’adapter au fuseau horaire du Québec », illustre Annie Boilard.

DES LIEUX DE TRACANCES MULTIPLES

Si on peut tracancer au chalet au Québec ou sous les palmiers, la spécialiste en RH donne quelques exemples de lieux de tracances, qui ne se limitent pas à des destinations vacances habituelles.

« On peut songer à un athlète qui fait des marathons ou à un parent d’un enfant sportif qui accompagne son équipe à travers le Québec ou le Canada. […] Donc, je vais travailler durant cette période, mais pas de chez moi ou du bureau. »

UNE TENDANCE À LA HAUSSE

Si cette pratique prend de l’ampleur, des agences de voyage proposant même des destinations tracances, « elle est encore à ses balbutiements », indique la spécialiste en RH.

Parmi les grandes entreprises qui offrent des tracances, elle cite en exemple le distributeur gazier Énergir et le grand cabinet comptable KPMG. Des PME ont aussi emboîté le pas.

DES AVANTAGES DE PART ET D’AUTRE

Pour Annie Boilard, « c’est une politique très abordable qui ne coûte rien à l’employeur et qui permet de se démarquer sur le marché des talents. Elle est donc accessible à toutes les entreprises, des très petites aux plus grandes ».

Cela dit, « dans leur politique de tracances, précise-t-elle, certaines entreprises offrent un cachet pour les employés. Parfois, c’est une somme symbolique, deux ou trois cents dollars, mais parfois, ça peut aller jusqu’à deux mille dollars par épisode de tracances par employé pour compenser les frais de déplacement et d’hébergement ».

Du côté des employés, il s’agit d’un avantage social dont « tout le personnel qui en fait la demande à son employeur ou tous les employés d’entreprises qui ont formellement une politique de tracances qui se qualifient peuvent bénéficier ».

POUR QUI ?

En général, une politique de tracances vient déterminer qui est admissible ou pas à cette pratique.

Par exemple, les stagiaires peuvent ne pas avoir le droit de tracancer, tout comme les nouveaux employés qui sont en période probatoire.

Les employés qui ne sont pas admissibles au télétravail n’ont souvent pas droit aux tracances aussi, soit à cause de la nature de leur travail qui exige qu’ils soient présents physiquement sur les lieux, soit parce qu’ils ne sont pas admissibles au télétravail en raison d’une sous-performance, ce qui les exclut également des tracances.

DES LIMITES À FIXER

Pour éviter tout tracas potentiel, l’entreprise a donc intérêt à mettre en place une politique de tracances bien définie, comme l’a fait celle d’Annie Boilard l’an dernier.

« Dans notre politique, on recommande de prendre des tracances au Québec, et on l’accepte au Canada, mais on ne le permet pas à l’international parce qu’on n’a pas les ressources pour valider les permis de travail ni la législation locale partout. De plus, de l’automne jusqu’au printemps, notre haute saison en formation, on ne peut pas tracancer durant cette période-là. »

UN CASSE-TÊTE POTENTIEL À L’ÉTRANGER

C’est d’ailleurs en raison de la durée limitée et des responsabilités du tracancier que les tracances à l’étranger sont plus complexes, estime la spécialiste en RH.

« Il y a plusieurs choses à prendre à considération. D’abord, il y a la confidentialité des données auxquelles l’employé va accéder puis la prévention des cyberattaques. S’il veut convaincre son employeur de le laisser partir en tracances, il va devoir le rassurer sur ces points, en réitérant les mesures qui seront prises. D’ailleurs, dans certaines politiques de tracances, des employeurs vont fournir une liste des pays qui sont permis ou interdits, ou encore préciser que la destination est sujette à l’approbation de l’employeur pour des raisons de sécurité. »

Le respect de la législation locale en vigueur, notamment en matière de travail, est aussi un point à considérer.

« Les gens croient à tort que parce qu’ils sont québécois et qu’ils sont payés en dollars canadiens, dans leur compte de banque, par une entreprise québécoise, ils peuvent travailler n’importe où. C’est le pays d’accueil qui compte. Et là, ça peut être très complexe, car il peut y avoir des lois de la province, de l’État et parfois même du comté. Il faut aussi garder en tête que dans certains endroits dans le monde, la première minute où je travaille, j’ai besoin d’un permis de travail », prévient Annie Boilard.

En plus des fuseaux horaires, le tracancier devra également respecter les jours fériés locaux et s’informer sur le droit à la déconnexion, en cours dans certains pays.

UNE RESPONSABILITÉ ACCRUE POUR L’EMPLOYÉ

Selon la spécialiste en RH, « chaque entreprise a la prérogative de mettre dans sa politique ce qui lui convient ».

Outre l’admissibilité à cette pratique, une politique de tracances vient définir la durée, la période et le nombre d’épisodes par année, les lieux permis ou non, et souvent les responsabilités de l’employeur et celles de l’employé.

Parmi les responsabilités de l’employé, celui-ci devra assumer toutes les dépenses liées à ses tracances : billets d’avions, assurances, permis de travail, frais d’hébergement, etc. Il devra aussi démontrer que la connexion Web est fiable, disponible et sécuritaire, et respecter les lois en vigueur s’il s’agit d’un pays étranger. Si l’employeur doit s’assurer que le lieu de travail est sécuritaire et ergonomique, l’employé peut toutefois le rassurer sur ce point, en envoyant une photo de son bureau.

« Chaque politique a son identité, mais en général, pour les tracances, c’est l’employé qui se responsabilise par rapport à son employeur », conclut Annie Boilard.

Natalie Savaria

Nathalie Savaria

Nathalie Savaria a été rédactrice en chef de magazines dans le domaine de l’immobilier commercial. Elle est journaliste indépendante.