Risque démographique – Tous vieux, malades et pauvres?

11 février 2015 | Dernière mise à jour le 11 février 2015
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Réalité démographique étant, risque de longévité et perte d’autonomie se disputent les arbitrages. Les conseillers doivent jongler entre revenu et protection, avec des régimes publics sous forte pression.

Un article publié en septembre dernier dans le Concordia University Magazine mettait la table. En 2011, avec ces baby-boomers traversant la barre des 65 ans, 15 % des Canadiens composaient la population dite du troisième âge. D’ici 2031, ce groupe abritera le quart des Canadiens. Au Québec, le choc démographique est arrivé. Pour la première fois en 2014, on s’attend à ce que le nombre de Québécois de 15 à 64 ans diminue*.

Les professeurs cités dans l’article évoquent le risque accru de survivre à son capital et rappellent qu’ils sont toujours plus nombreux parmi les boomers à atteindre la retraite avec un fardeau d’endettement élevé. Au final, disposer d’un revenu adéquat est une source de préoccupation pour une forte proportion de retraités, le quart d’entre eux n’ayant que les régimes publics pour seules sources de revenu, peut-on lire.

En octobre dernier, Jean-Claude Ménard, actuaire en chef du Régime de pensions du Canada, lançait un autre avertissement : « Que les gestionnaires des régimes de retraite en prennent acte, si l’amélioration de l’espérance de vie observée récemment, en particulier chez les 75 à 89 ans, se poursuit au rythme actuel, les hypothèses à long terme devront être ajustées en conséquence. »

Au cours d’une présentation faite dans le cadre de l’assemblée annuelle de la Society of Actuaries, tenue à Orlando, il a rappelé que, depuis 1901, l’espérance de vie à la naissance au Canada avait augmenté d’environ 33 ans. À la fin de 2013, elle atteignait 86 ans pour les hommes et 89 pour les femmes. Et, disait-il, les augmentations futures de l’espérance de vie sont présumées se produire aux âges plus avancés comparativement aux âges plus jeunes, ce qui veut dire que l’impact sur l’espérance de vie à la naissance sera limité, et celui à l’âge de 65 ans, accru.

LES ASSUREURS DANS L’ATTENTE

L’on s’en doute. Ce phénomène du vieillissement n’est pas sans provoquer des pressions sur les régimes publics. Lorsqu’il s’applique, le principe de l’universalité s’en trouve ébranlé, interpelant les assureurs dans leur rôle complémentaire à la protection sociale de base. Chez eux, on se retrouve en attente des choix publics qui seront faits, soutient Yves Millette, viceprésident principal, Affaires québécoises, à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

Sur le radar des assureurs, deux grands chantiers accaparent le gros de l’écran. Dans l’univers des régimes complémentaires de retraite, le Québec s’est fait l’écho du gouvernement fédéral, avec son régime de pension agréé collectif, en adoptant la formule du régime volontaire d’épargneretraite (RVER). Mais les conseillers et intermédiaires se retiennent. « L’adhésion obligatoire au RVER est étalée dans le temps et ce régime vient fixer un honoraire maximum. On peut donc comprendre que les intermédiaires préfèrent vendre un REER collectif plutôt qu’un RVER », explique Yves Millette. S’ajoute à l’hésitation l’annonce du gouvernement ontarien disant plutôt souhaiter se doter d’un régime public.

Aussi on cogite toujours, au Québec, sur la portée réelle d’inclure une rente de longévité dans la réévaluation du régime en place. Une approche empruntée au rapport du comité d’experts sur l’avenir du système de retraite remis au gouvernement en avril 2013 et rejetée par les assureurs, qui lui auraient préféré un régime de perte d’autonomie. Ce dernier a pourtant un substitut, soit l’assurance pour soins de longue durée, mais ce produit est encore peu répandu. « Il est peu distribué. Sa protection peut être dispendieuse. Il cible un marché intermédiaire disposant d’une certaine capacité financière », résume Jimmy Bouchard, directeur, Développement des produits de protection, associé à SFL Placements.

« Ce sont des produits ou régimes qui se vendent mieux sur une base collective », renchérit Yves Millette. Le vice-président de l’ACCAP insiste : les assureurs préfèrent ou souhaitent la mise en place d’un régime collectif, pour prendre le relais sur une base individuelle. Il donne, ici, l’exemple des produits d’assurance invalidité et maladies graves offerts en entreprise, transformés en soins de longue durée une fois la retraite venue.

À cette cohabitation avec les régimes collectifs se greffe un régime public toujours plus pressurisé sous l’effet du vieillissement démographique. Pour le système de santé, il en résulte des délais prolongés favorisant un recours accru au privé. « Il faut se rappeler que le régime universel a été conçu pour des soins de courte durée », note Yves Millette.

Ce faisant, un autre produit potentiellement vedette est dans le pipeline : l’assurance soins de santé, qui permet de recevoir des soins plus rapidement au privé, au Québec ou ailleurs, fait son chemin. La brèche est ouverte depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême en 2005 dans l’affaire Chaoulli, accordant une place au secteur privé dans le système de santé québécois. Encore limité, le spectre des soins reçus au privé que la Régie de l’assurance maladie au Québec accepte de couvrir est appelé à s’élargir, croit Yves Millette.

PRIVATISATION ACCRUE

Éric Brassard acquiesce. « Ce qu’il y a de nouveau avec le vieillissement de la population, c’est son impact sur l’accès aux services publics. C’est le débat de société entre le public et le privé qui prend de l’ampleur, dans nombre de domaines, avec un secteur privé toujours plus accessible », souligne celui qui cumule les titres de planificateur financier et de conseiller en placement chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés, Patrimoine Hollis, Scotia Capitaux.

Éric Brassard, Pl. Fin et conseiller en placement chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés, Patrimoine Hollis, Scotia Capitaux

« Le risque lié aux soins de santé est infini », ajoute-t-il. Le client peut décider de gérer ce risque à même son revenu de retraite. Ou il peut le couvrir. On entre alors dans l’univers des arbitrages et on s’en remet aux produits d’assurance. Soins de longue durée, perte d’autonomie, maladies graves, etc.

Des institutions comme Desjardins Sécurité financière ajoutent l’option perte d’autonomie à leurs contrats d’assurance, relève Jimmy Bouchard.

Quant à l’autre grand risque, celui de longévité, « il n’y a rien de nouveau. Il a toujours existé. Je ne me sers pas de l’espérance de vie théorique. Je pars du principe que le client devant moi peut vivre vieux », insiste Éric Brassard.

Denis Preston, planificateur financier, formateur et consultant en gestion de risque, retient également que l’augmentation de l’espérance de vie ne change rien pour l’individu. « La seule différence : la période à la retraite est plus longue. » En matière de décaissement, Denis Preston, à l’instar d’Éric Brassard, va privilégier la rente viagère classique plutôt que les produits structurés combinant fonds distincts et garantie de revenu viager. « Ces derniers peuvent présenter plus de souplesse, mais ils sont moins intéressants du point de vue flux monétaire. »

Sauf que dans l’environnement actuel de faibles taux d’intérêt persistants, les produits structurés ou hybrides reviennent en nombre, note Jimmy Bouchard. Les assureurs ont cependant appris de la crise de 2008. On revient avec une garantie de revenu viager arrimée au marché, le risque de fluctuation étant partagé.

Mais pour la protection contre la perte d’autonomie, le système public demeure la seule issue pour nombre de personnes. « Les personnes à faibles revenus n’ont pas les moyens de recourir à l’assurance privée. La classe aisée est capable de s’autoassurer. Quant à la classe moyenne, elle n’épargne déjà pas assez pour son patrimoine retraite », énumère-t-il.

Jimmy Bouchard ajoute : « Dans la pratique, on observe plutôt la tendance à ne pas se protéger contre ce risque. C’est peut-être nouveau pour le conseiller. Peut-être que ces produits structurés sont mal présentés, ou mal vendus. Il y aurait pourtant avantage à les intégrer dans une démarche de planification de la retraite. »

ATTENTION À LA CONFORMITÉ

Enfin, qui dit vieillissement dit accroissement d’une clientèle vulnérable, ramenant le conseiller face aux exigences en matière de conformité dans l’analyse des besoins. Dans l’article du magazine Concordia, les universitaires soulèvent le potentiel de crise associé à l’explosion des personnes souffrant de démence. Au sein d’une seule génération, le nombre de Canadiens aux prises avec ce problème de santé va plus que doubler pour atteindre 1,1 million. Le coût de santé afférent va passer de 1,5 milliard, présentement, à 153 milliards, écrivent-ils.

« Il y a un risque réel. Le conseiller doit se protéger, garder des traces », insiste Jimmy Bouchard. Il devra éventuellement s’en remettre à un mandataire, mais il est lié à la confidentialité. « Une bonne discussion avec le client est nécessaire, dans le but d’obtenir une entente, sa permission de parler au mandataire. L’objectif ultime, c’est de le protéger », insiste Denis Preston.

* Les données relatives à l’année 2014 n’étaient pas disponibles au moment d’écrire cet article.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2015 de Conseiller