Comment les recherches de Daniel Kahneman ont influencé les conseils financiers

Par Melissa Shin | 11 avril 2024 | Dernière mise à jour le 10 avril 2024
5 minutes de lecture
Une femme d'affaire qui montre avec son stylo des choses sur un papier à un homme d'âge mûr.
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L’économiste et psychologue Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel, est décédé le 27 mars dernier à l’âge de 90 ans. Daniel Kahneman a fait sa marque à titre de pionnier pour ses recherches portant sur la prise de décision et l’économie comportementale. Nombre de ses conclusions s’appliquent au monde du conseil financier.

« En tant que planificateur financier, j’ai apprécié les idées de Daniel Kahneman sur la compréhension de la psychologie qui sous-tend les décisions financières, affirme Zainab Williams, fondatrice de Elleverity Wealth Management à Milton, en Ontario. Derrière chaque décision, il y a une interaction complexe d’émotions et de biais cognitifs ».

« Il est impossible d’exagérer son importance et son influence, a écrit John De Goey, gestionnaire de portefeuille chez Designed Wealth Management, sur X. L’ensemble des prémisses de l’économie a été bouleversé grâce à ses travaux et à ceux d’Amos Tversky [collaborateur de recherche fréquent]. »

Historiquement, la plupart des économistes pensaient que les gens prenaient leurs décisions de manière tout à fait rationnelle, en tenant compte des gains et des pertes potentiels et en évaluant les probabilités de certains résultats.

Les recherches de Daniel Kahneman ont montré que « nous sommes assez mauvais pour prendre des décisions ; nous ne sommes pas toujours rationnels », résume John Waldron, fondateur du fournisseur de formation continue Learnedly. « Les gens vont prendre des décisions qui sont influencées par ce qu’ils ressentent et [essayer] d’éviter ce qu’ils ne veulent pas ressentir. »

« Dans un monde inondé de choix, il est essentiel de reconnaître que nos décisions financières ne sont pas purement analytiques, mais profondément influencées par des déclencheurs psychologiques », souligne Zainab Williams.

Selon John Waldron, les recherches de Daniel Kahneman et Amos Tversky dans ce domaine ont changé la donne.

« L’une des contributions les plus importantes [de Daniel Kahneman] concerne l’aversion pour la perte et l’idée que la douleur de la perte est deux fois plus grande que le plaisir du gain, rapporte John Waldron. Nous avons toujours pensé que si quelque chose augmentait ou diminuait dans les mêmes proportions, nous pourrions y être indifférents. Mais en réalité, ce n’est pas le cas. »

Daniel Kahneman et Amos Tversky ont étudié l’aversion aux pertes dans un article fondateur de 1979 sur ce que l’on appelle la théorie des perspectives. Selon l’université de Columbia, cet article est le plus cité en économie et l’un des plus cités en psychologie.

John De Goey a suggéré dans un courriel que les conseillers devraient se familiariser avec la théorie des perspectives en réponse aux conditions actuelles du marché.

« La plupart des conseillers et des investisseurs ne font pas assez pour atténuer la douleur émotionnelle qu’ils pourraient ressentir en cas de ralentissement prolongé, explique-t-il. C’est pourquoi j’ai dû demander à un fournisseur de fabriquer des obligations inversées sur mesure pour faire face au risque très réel auquel nous sommes tous confrontés, mais que si peu d’entre nous reconnaissent ».

Selon John Waldron, l’une des façons d’appliquer les recherches de Daniel Kahneman consiste à trouver un équilibre entre les conseils optimaux qu’un client pourrait refuser de mettre en œuvre et les conseils apparemment sous-optimaux qu’il suivra effectivement.

Par exemple, selon lui, concentrer les investissements à revenu fixe sur un compte enregistré et les investissements générateurs de plus-values sur un compte non enregistré peut être plus efficace sur le plan fiscal que d’avoir deux comptes équilibrés, mais un client peut ne pas être à l’aise avec cette configuration parce que le compte non enregistré semble trop risqué.

« Vous ne voulez pas mettre en place quelque chose qui pourrait très bien être optimal et voir le client s’en défaire par la suite », commente John Waldron.

Daniel Kahneman a publié en 2011 le livre Thinking, Fast and Slow, qui est devenu un best-seller du New York Times et a fait connaître ses recherches au grand public.

Parmi de nombreux autres concepts, le livre a popularisé l’idée des systèmes 1 et 2. « Le système 1 est responsable de presque tout ce que nous faisons. La plupart de nos activités sont qualifiées, et les activités qualifiées sont en grande partie réalisées sans effort et automatiquement. Cela inclut même les conversations de routine, qui demandent très peu d’efforts, a déclaré Daniel Kahneman à l’American Psychological Association (APA) en 2012. Le système 2 est lent et encombrant, mais il est capable d’effectuer des actions compliquées que le système 1 ne peut pas réaliser. »

L’arithmétique complexe serait un exemple de pensée du système 2.

« L’éducation influence le système 2 et lui permet de capter les signaux indiquant qu’il s’agit d’une situation dans laquelle je suis susceptible de commettre ces erreurs », a résumé Daniel Kahneman à l’APA. Dans le cas contraire, une personne a tendance à se concentrer sur les preuves disponibles et à ignorer celles qui ne le sont pas.

Le livre aborde également le concept de « vision extérieure » de Daniel Kahneman et Amos Tversky, qui peut contrebalancer la « vision intérieure » influencée par les émotions et les pairs. Le point de vue extérieur est une tierce partie, une preuve neutre fondée sur des données, tandis que le point de vue intérieur est plus proche de l’intuition et de l’anecdote, et peut correspondre à ce que les désirs ou les émotions d’une personne lui dictent.

Les travaux de Daniel Kahneman et de Amos Tversky, décédé en 1996, sont considérés comme la source d’inspiration du domaine moderne de l’économie comportementale.

Daniel Kahneman a reçu de nombreuses récompenses pour ses recherches, notamment pour son travail avec Amos Tversky. Il a ainsi reçu le prix Nobel de sciences économiques (2002), le Lifetime Contribution Award de l’American Psychological Association (2007) et la médaille présidentielle de la liberté (2013).

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Melissa Shin

Melissa Shin est directrice de la rédaction du groupe des publications financières de Newcom Media Inc. Elle fait partie de l’équipe depuis 2011 et a été reconnue par l’ACGA et la CFA Society Toronto pour ses reportages. Rejoignez-la à mshin@newcom.ca.