Éric et Lola : la vie de couple en débat

Par Hélène Marquis | 28 janvier 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La saga judiciaire d’Éric c. Lola maintenant terminée, voici que commence le débat de société. Quels sont les droits et obligations que devraient avoir l’un à l’égard de l’autre les conjoints qui choisissent de vivre en union de fait? Est-ce le rôle de l’État d’imposer la formation d’une union économique chaque fois que des couples font vie commune? Le Code civil du Québec (C.c.Q.), au titre de la famille et des successions, devrait-il être revu et remanié en profondeur pour tenir compte de la réalité des unions de fait? Le patrimoine familial mérite-t-il d’être révisé 25 ans après son entrée en vigueur? Est-ce que le législateur devrait établir des normes pour valider et baliser les conventions d’union de fait, tout en respectant le droit à la liberté de choix des individus? Ce sont les questions auxquelles il faudra réfléchir pour définir la famille de l’avenir.

Loin de moi l’idée de commenter le jugement de la Cour Suprême du Canada. Je laisse cette prérogative aux savants juristes et constitutionnalistes. Nous ferons plutôt un retour sur l’effet immédiat et pratique du jugement.

Maintien du statu quo Dans sa sagesse, et malgré de nombreuses nuances contenues dans les dissidences des juges, la Cour Suprême du Canada a maintenu intact le régime légal applicable au Québec en ce qui concerne les obligations alimentaires entre conjoints de fait, ainsi que le partage des biens du ménage.

Actuellement, tous les couples, incluant les partenaires de même sexe, ont le choix de leur modèle familial. Ils peuvent opter pour le formalisme d’une union reconnue par la loi ou pour l’union libre. Certaines lois sociales, comme La loi sur le régime des rentes du Québec, les diverses lois sur les régimes de retraite, la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles L.R.Q. chapitre A-13.1.1, la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, et des contrats privés, comme certains contrats d’assurance collective offerts par les employeurs, reconnaissent un statut et des droits à la fois aux couples mariés et aux conjoints de fait. Les lois fiscales fédérale et provinciale reconnaissent aux conjoints de fait à peu près tous les mêmes droits qu’aux époux, créant même des situations parfois ambiguës de « bigamie fiscale ». Ces lois et ces contrats ont un élément commun, les droits qu’ils confèrent sont toujours subordonnés à une condition impérative : le couple doit répondre à une définition de « conjoint de fait », laquelle varie d’une loi à l’autre ou d’un contrat à l’autre.

Le mythe : trois ans de vie commune = mariage Sauf quelques rares exceptions où le mot « conjoint » y est utilisé, le C.c.Q. ne reconnaît aucun statut juridique aux conjoints de fait, quel que soit le nombre d’années pendant lesquelles le couple a fait vie commune, même s’ils ont en commun des enfants naturels ou adoptés. L’état civil qui leur est attribué est celui de « célibataire ».

Les conséquences de choisir le mariage ou l’union civile Le C.c.Q. établit les droits et obligations qu’ont les unes envers les autres les personnes mariées ou unies civilement. Cela ne se limite pas aux considérations d’ordre économique. Plusieurs sont relatives au choix d’un mode de vie. Ainsi les époux se doivent respect, fidélité, secours et assistance. Ils choisissent ensemble la résidence familiale et sont tenus de faire vie commune. Ils doivent contribuer aux charges du mariage proportionnellement à leurs capacités respectives. Chacun peut donner à l’autre le mandat de le représenter s’il est dans l’impossibilité de manifester sa volonté. Ils occupent la résidence familiale et bénéficient des meubles du ménage. Le bail du logement familial ne peut être annulé ou cédé sans le consentement de l’autre.

En cas de séparation, divorce ou décès, ils auront le droit d’obtenir une pension alimentaire pour eux-mêmes, de revendiquer leurs droits dans les biens du ménage en raison du régime matrimonial applicable et des règles de partage du patrimoine familial. Avec ou sans testament, ils pourront hériter seuls ou, s’il y a des enfants ou des parents survivants, dans une proportion établie par la loi.

Documentation juridique nécessaire aux conjoints de fait Les conjoints de fait, étant des « célibataires » aux yeux de la loi, ne sont soumis à aucune de ces obligations. Ils doivent établir entre eux une convention de vie commune, un testament, un mandat en prévision de l’inaptitude reflétant leur volonté. La convention devient la loi des conjoints. Elle est utile pendant la période de cohabitation, lorsqu’il est temps de prendre des décisions financières importantes. C’est aussi cette convention qui servira de guide pour partager les biens en cas de rupture. Tant et aussi longtemps que les clauses de la convention ne contreviennent pas aux lois et règlements ainsi qu’aux « bonnes mœurs », il est possible d’y inclure toutes les clauses qui conviennent à la situation particulière des conjoints et d’y prévoir les termes de l’administration des biens et du partage des dépenses, du support alimentaire, du partage des biens et de l’utilisation de la résidence familiale en cas de rupture.

Au décès, un testament en bonne et due forme est nécessaire si les conjoints veulent se léguer leurs biens. La copropriété du C.c.Q. ne prévoit pas de droit de survie. Par exemple, si la résidence familiale est détenue en copropriété 50/50 par les conjoints, un décès sans testament ferait en sorte que le conjoint survivant demeure propriétaire de sa proportion de la résidence et devienne copropriétaire avec les enfants du décédé ou ses parents.

Conclusion Organiser la vie à deux est un processus qui demande du temps, un certain niveau d’information et, surtout, l’accès à des professionnels compétents pour renseigner et aider à prendre des décisions éclairées. Ce conseil ne vaut pas uniquement pour les conjoints de fait, mais aussi pour ceux qui s’engagent dans une union formelle.


Hélène Marquis, LL.L., D. Fisc., Pl. Fin., TEP, Directrice régionale, Services consultatifs de Gestion de Patrimoine, Gestion privée de patrimoine CIBC

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Hélène Marquis

Directrice exécutive, Planification fiscale et successorale Gestion privée de patrimoine CIBC À titre de directrice exécutive, Planification fiscale et successorale à Gestion privée de patrimoine CIBC, Hélène Marquis est responsable d’aider les clients à valeur nette élevée pour leurs besoins en planification fiscale et successorale. Mme Marquis a effectué des études en droit, en fiscalité et en planification financière. Après avoir pratiqué le droit civil et le droit des sociétés, elle s’est jointe à une institution financière canadienne d’envergure internationale et a acquis de l’expertise en assurance de personnes et en planification financière. Mme Marquis a publié des livres et des articles éducationnels et collabore régulière à la rédaction d’articles pour diverses publications, dont Les Affaires et Finance et Investissement.