Le fondateur du PlexCoin ruiné

Par Didier Bert | 7 janvier 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Vitaliy Vodolazskyy / 123RF

Le fondateur de la cryptomonnaie PlexCoin se décrit comme ruiné, sans ressources, malade et au seuil de l’emprisonnement, en raison des ordonnances de blocage prononcées par le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF).

« Je ne peux pas recevoir d’aide en argent de quiconque. Toute somme d’argent, peu importe la provenance, ne peut être acceptée. Si nous avons besoin d’un médicament important, quelqu’un doit nous accompagner et payer pour nous », relate Dominic Lacroix, le fondateur de la cryptomonnaie PlexCoin, contre qui le TMF a prononcé des ordonnances de blocage en 2017, sur demande de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

11 MILLIONS DE DOLLARS COLLECTÉS 

Le régulateur accuse M. Lacroix et sa conjointe, Sabrina Paradis-Royer, d’avoir effectué des opérations de placement de valeurs mobilières, à travers la prévente de leur cryptomonnaie, sans avoir déposé de prospectus visé ou sans détenir l’inscription prévue par la Loi sur les valeurs mobilières.

Les deux intimés prévendaient une cryptomonnaie qu’ils avaient eux-mêmes lancée, le PlexCoin. M. Lacroix affirme que le PlexCoin n’était pas un investissement, « mais bien une cryptomonnaie ». Pour lui, cette monnaie numérique était un bien et aucune promesse de rendement n’avait été faite.

Depuis près de trois ans, Dominic Lacroix est visé par des enquêtes au Canada et aux États-Unis. Les autorités réglementaires américaines le soupçonnent d’avoir collecté 6,5 millions de dollars auprès de 90 000 investisseurs, sans être inscrit comme courtier. Au total, ce sont 11 millions de dollars qui auraient été amassés.

L’Autorité aurait récupéré 7 millions de dollars jusqu’à présent. Un plan de redistribution doit être discuté fin janvier pour payer les créanciers et les investisseurs. Cependant, le montant restant à distribuer ne dépasse pas 5,9 M$, compte tenu des honoraires que l’Autorité a dû débourser en procédures depuis près de deux ans.

Le TMF a ordonné à M. Lacroix et à Sabrina Paradis-Royer de « ne pas, directement ou indirectement, se départir de fonds, de titres, ou autres biens qu’ils ont en leur possession qui leur ont été confiés et de ne pas, directement ou indirectement, retirer ou s’approprier des fonds, titres ou autres biens des mains d’une autre personne qui les a en dépôt ou qui en a la garde ou le contrôle pour eux à quelques endroits que ce soit ».

ORDONNANCES ÉTOUFFANTES? 

Selon M. Lacroix, les ordonnances du TMF l’empêchent de subvenir à ses besoins. « Autrement dit, je ne peux pas dépenser le moindre dollar, peu importe sa provenance, même si cela provient d’un don de la famille, d’un travail ou de la vente d’un bien qui m’appartient, assure-t-il. Les ordonnances visent moi et ma conjointe depuis presque 3 ans maintenant. Elles sont renouvelées tous les 6 mois. De plus, toutes les banques existantes au Québec ont reçu ces ordonnances et donc mes comptes bancaires et cartes de crédit sont gelés. Je ne suis pas capable non plus d’ouvrir de nouveau compte. »

Dominic Lacroix dit être empêché d’avoir un compte bancaire, et de gagner tout revenu y compris un revenu de travail. « Je pourrais techniquement travailler, mais je ne pourrais pas utiliser ma paie ni même fournir un spécimen de chèque à mon employeur pour recevoir ma paie », affirme-t-il.

Cette interprétation n’est pas celle de l’Autorité. « Les personnes visées par de telles ordonnances de blocage ne perdent pas le droit d’occuper un emploi légitime et rémunéré », répond-elle.

Pour faire connaître sa version des faits, Dominic Lacroix a créé un site Internet sur lequel il décrit ce qu’il nomme « un enfer juridique ». L’appel aux dons publié sur le site ne lui a rapporté que 250 $ pour l’instant, en bitcoins, selon ses dires.

Sans revenus, M. Lacroix dit être incapable de faire face à ses engagements financiers, et même aux dépenses de la vie courante. « Ces ordonnances nous empêchent de subvenir à nos besoins vitaux et ont complètement détruit nos dossiers de crédit », dit-il, en précisant que son avocate le défend gratuitement.

Ne pouvant pas payer l’hypothèque de sa résidence depuis un an, M. Lacroix s’attend à la voir saisie par son créancier début février. Et il affirme ne pas être en mesure de louer un logement en raison des ordonnances. C’est sa mère qui lui fournit l’épicerie et lui paie ses factures d’électricité, indique-t-il. 

Condamné à six mois d’emprisonnement par la Cour supérieure du Québec, Dominic Lacroix se présentera en cour d’appel le 12 février contre les deux peines de détention prononcées à l’automne dernier pour outrage au tribunal : il n’avait pas fourni de bilan financier complet concernant  son entreprise de cryptomonnaies, et avait refusé de donner ses mots de passe à l’administrateur habilité à rembourser les investisseurs.

EN ATTENTE DE L’APPEL 

Dominic Lacroix garde la possibilité de faire appel des ordonnances prises contre lui. « Si une personne visée croit que de telles ordonnances l’empêche en tout ou en partie d’honorer des dépenses de subsistance, elle doit solliciter le Tribunal administratif des marchés financiers pour obtenir une levée partielle, précise Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité. Dans ce contexte, le tribunal s’assurera de la légitimité des revenus et exigera généralement de l’intimé qu’il produise une certaine reddition de compte de ces revenus et dépenses auprès de l’Autorité. »

Dominic Lacroix dit avoir demandé une date d’audience pour lever les ordonnances de blocage afin de pouvoir travailler et subvenir à ses besoins vitaux. « Nous n’attendons pas de décision avant plusieurs mois », regrette-t-il.

En plus de ces déboires financiers, Dominic Lacroix dit souffrir d’embolie pulmonaire et d’un cancer qui nécessite une intervention chirurgicale prochaine, suivie de chimiothérapie. 

« Je ne veux pas paraître comme quelqu’un qui fait pitié, affirme Dominic Lacroix. Si moi ou ma conjointe pouvions travailler, (…) cela ferait longtemps que j’aurais trouvé un emploi ou que j’aurais lancé une petite entreprise, mais ce n’est pas le cas et c’est les ordonnances de blocages que je veux dénoncer. Nous avons les pieds et poings liés par ces fameuses ordonnances. »

DÉFAIT AUX PETITES CRÉANCES 

M. Lacroix est également poursuivi devant la Cour des petites créances par deux investisseurs du PlexCoin, qui réclament le remboursement de leurs investissements après la faillite de Micro-Prêts. En 2013, sa compagnie Micro-Prêts et lui avaient plaidé coupables à six chefs d’accusation pour placement illégal, pratique illégale et transmission d’informations fausses ou trompeuses. La Cour du Québec leur avait imposé une amende de 25 000 $.

Dominic Lacroix affirme n’avoir pas pu se déplacer devant la cour des petites créances pour se défendre, et avoir donc perdu ces poursuites, qui pourraient lui coûter 250 000 $.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.