Les dangers du salaire minimum à 15 $

Par Pierre-Luc Trudel | 31 août 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Inspirées par des changements législatifs aux États-Unis, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer un salaire minimum à 15 $ l’heure au Québec. Parmi elles, la FTQ, Québec solidaire et l’homme d’affaires Alexandre Taillefer. Les PME sont au contraire farouchement opposées à une telle mesure, soulevant des inquiétudes légitimes, estime l’économiste Pierre Fortin.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) affirme qu’une hausse de près de 40 % du salaire minimum serait « catastrophique » pour les PME.

L’économiste Pierre Fortin juge ces craintes tout à fait justifiées.

« Ce ne sont pas les grandes entreprises comme Bombardier ou SNC-Lavalin qui paient leurs employés au salaire minimum, ce sont les petits commerces locaux. Ces PME sont fragiles, la plupart d’entre elles auraient beaucoup de difficulté à absorber du jour au lendemain une hausse de 40 % du salaire minimum », dit le professeur émérite à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, en entrevue avec ConseillerPME.ca.

D’autant plus qu’une telle hausse obligerait les employeurs à augmenter le salaire de l’ensemble de leur main-d’œuvre, et pas seulement des employés au salaire minimum, poursuit l’économiste. « En raison des conventions collectives et des conventions « sociales », les employeurs devraient également accorder des augmentations salariales à leurs employés plus expérimentés ou qualifiés. »

HAUSSE DU TAUX DE CHÔMAGE

Pour être viable, l’augmentation du salaire minimum devrait suivre celle du salaire gagné en moyenne par les Québécois, explique Pierre Fortin. À l’heure actuelle, le salaire minimum équivaut à 47 % du salaire moyen dans la province.

Selon les travaux de l’économiste, une réduction de 10 % de l’écart entre le salaire minimum et le salaire moyen dans la province se traduirait par une hausse de 1,5 % du taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans. Selon lui, une hausse immédiate du salaire minimum à 15 $ de l’heure provoquerait une « hécatombe ».

Cela dit, les défenseurs d’un salaire minimum à 15 $ plaident plutôt en faveur d’une hausse graduelle. Dans le scénario proposé par la FTQ, par exemple, le salaire horaire de 15 $ ne serait atteint qu’en 2022.

Or, selon les calculs de Pierre Fortin, le salaire minimum devrait plutôt se situer à environ 13 $ de l’heure en 2022 pour suivre la croissance du salaire moyen.

L’économiste précise d’ailleurs que le salaire moyen au Québec progresse plus rapidement que l’inflation. C’est donc dire qu’avec un salaire horaire de 13 $ en 2022, les employés au salaire minimum auraient un pouvoir d’achat supérieur à celui qu’ils ont aujourd’hui.

DU DÉJÀ VU

Une hausse potentielle du taux de chômage causée par un salaire minimum « trop élevé » n’est pas que théorique, insiste Pierre Fortin. Une telle situation s’est déjà produite au Québec.

À la fin des années 1970, le salaire minimum équivalait à 55 % du salaire moyen dans la province, ce qui représente un écart plus faible qu’aujourd’hui. Le taux de chômage chez les jeunes dépassait 20 %, rappelle M. Fortin. « Le premier ministre de l’époque, René Lévesque, était inquiet d’un taux d’emploi aussi faible chez les jeunes. Il a alors gelé le salaire minimum entre 1981 et 1986, ce qui a eu pour effet de faire baisser le taux de chômage. »

LE MODÈLE DE SEATTLE

Les partisans d’un salaire minimum à 15 $ de l’heure évoquent souvent le cas de Seattle, où l’expérience se serait révélée plutôt positive. Mais comparer la ville de la côte Ouest américaine avec le Québec est un exercice hasardeux, affirme Pierre Fortin.

« Le salaire moyen à Seattle est l’un des plus élevés aux États-Unis, notamment en raison de la présence de très grands employeurs comme Boeing et Microsoft. Ils disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour augmenter le salaire minimum. Ce n’est pas le cas de Montréal et des autres villes québécoises. »

Un salaire minimum à 15 $ de l’heure pourrait par ailleurs renforcer la tendance au décrochage scolaire dans la province, croit-il, les jeunes pouvant être tentés de laisser leurs études, attirés sur le marché du travail par un salaire minimum plus élevé.

DES AVANTAGES POUR LES ENTREPRISES?

Meilleure productivité des entreprises et baisse du taux de roulement du personnel sont des arguments très souvent évoqués par les groupes favorables à une augmentation importante du salaire minimum. Pierre Fortin estime effectivement qu’un salaire minimum pourrait augmenter la productivité des entreprises, mais pas à n’importe quel prix.

« La meilleure façon d’augmenter la productivité d’une entreprise, c’est de mettre des employés à la porte ou de réduire leur nombre d’heures de travail », lance-t-il.

Pour le démontrer, il évoque la situation européenne, où les salaires minimums sont beaucoup plus élevés qu’ici. Résultat, les PME embauchent moins et ont davantage recours à la technologie et à l’automatisation, ce qui fait grimper leur productivité.

« Un salaire minimum élevé peut être une bonne chose pour la productivité des entreprises, mais pas pour le taux d’emploi », résume-t-il, en insistant sur le taux de chômage très élevé chez les jeunes Européens.

Les coûts d’un taux de roulement élevé du personnel, généralement associé aux emplois moins rémunérés, sont quant à eux marginaux par rapport aux coûts totaux de main-d’œuvre qui seraient induits par une hausse du salaire minimum, soutient Pierre Fortin.

DES SOLUTIONS PLUS EFFICACES

Malgré son avis défavorable à une hausse importante du salaire minimum, Pierre Fortin assure « qu’il faut faire le maximum » pour soutenir les travailleurs à faible revenu. Il explique que de bonifier les programmes gouvernementaux, tels que le crédit d’impôt pour solidarité et la prime au travail, représente une solution beaucoup plus efficace pour y arriver.

L’économiste appuie également une proposition de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), qui consiste à moduler le salaire minimum en fonction du salaire moyen dans chacune des villes du Québec.

Pierre-Luc Trudel